La Chute Des Géants: Le Siècle
l’autre
côté de la salle –«… ce serait passer notre tête dans un nœud coulant en
laissant le bout de la corde entre les mains de l’Allemagne ! »
Un tonnerre d’applaudissements
s’éleva des bancs des députés.
La proposition de paix était
rejetée.
À côté d’Ethel, Gus Dewar enfouit
son visage dans ses mains.
« Que faites-vous d’Alun
Pritchard, mort sur la Somme ?» lança Ethel d’une voix forte.
L’huissier chuchota : « Silence,
là-bas ! »
Ethel se leva. « Du sergent
Prophète Jones, mort lui aussi !
— Au nom du ciel,
asseyez-vous et calmez-vous !» intervint Fitz.
En bas, dans la chambre, Lloyd George
poursuivait son discours. Un ou deux députés avaient levé les yeux vers la
galerie. « De Clive Pugh ! » hurla Ethel à tue-tête. Deux
huissiers se dirigèrent vers elle et l’encadrèrent. « De Grêlé
Llewellyn ! » Ils la prirent par les bras et l’entraînèrent. « De
Joey Pond !» cria-t-elle encore comme ils lui faisaient franchir le seuil.
XXII.
Janvier-février 1917
1.
Walter von Ulrich rêvait qu’il se
trouvait dans une calèche pour rejoindre Maud. Dans une pente, la voiture
commençait à gagner de la vitesse et bringuebalait dangereusement sur la
chaussée inégale. « Pas si vite ! Pas si vite ! »
hurlait-il, mais le martèlement des sabots empêchait le cocher de l’entendre.
Ce bruit lui rappelait curieusement le ronronnement d’un moteur de voiture.
Plus que cette bizarrerie, c’était la crainte de verser qui terrifiait Walter,
la peur de ne jamais revoir Maud. Il essaya encore d’ordonner au cocher de
ralentir et l’effort qu’il fit pour crier le réveilla.
En réalité, il était assis dans
une automobile, une Mercedes 37/95 Double Phaéton conduite par un chauffeur qui
roulait à vitesse raisonnable sur une route cahoteuse de Silésie. Son père,
assis près de lui, fumait un cigare. Ils avaient quitté Berlin le jour même, à
l’aube, enveloppés dans des manteaux de fourrure – c’était une voiture
découverte – pour regagner le quartier général du haut commandement sur le
front est.
Ce rêve n’était pas difficile à
interpréter. Les Alliés avaient repoussé avec mépris la proposition de paix
pour laquelle Walter avait œuvré avec tant d’énergie. Dans le camp allemand, ce
rejet avait renforcé le pouvoir des militaires qui voulaient reprendre la
guerre sous-marine à outrance et couler tout navire militaire ou civil faisant
route en zone de guerre, les paquebots aussi bien que les cargos, qu’ils
appartiennent à un pays neutre ou à une puissance belligérante, afin d’affamer
la Grande-Bretagne et la France et les contraindre à capituler. Les hommes
politiques, en revanche, et notamment le chancelier, craignaient que cette
attitude ne les conduise à la défaite ; elle risquait fort en effet de
décider les États-Unis à entrer en guerre. Mais pour le moment, les partisans
de la guerre sous-marine l’emportaient. Le kaiser avait clairement exprimé ses
préférences en nommant aux Affaires étrangères un va-t-en-guerre avéré, Arthur
Zimmermann. En vérité Walter rêvait que des chevaux emballés précipitaient le
pays vers le désastre.
Il était persuadé que pour l’Allemagne,
le plus grand danger venait des États-Unis. L’objectif de la politique
allemande devait donc être de maintenir l’Amérique à l’écart du conflit.
Certes, le blocus allié affamait la population, mais les Russes ne pourraient
pas résister longtemps. Dès qu’ils auraient capitulé, l’Allemagne envahirait
les riches régions occidentales et méridionales de leur empire, avec leurs
immenses champs de blé et leurs puits de pétrole intarissables et elle pourrait
alors concentrer toutes ses forces sur le front ouest. C’était le seul espoir.
Le kaiser le comprendrait-il ?
Il devait rendre sa décision
aujourd’hui.
Un triste jour d’hiver se levait
sur la campagne émaillée de plaques de neige. Retenu loin des combats, Walter
se faisait l’effet d’être un tire-au-flanc. « Je devrais être sur le front
depuis des semaines, murmura-t-il.
— De toute évidence, l’armée
veut que tu restes ici, dit Otto. Les services secrets apprécient tes qualités
d’analyste.
— Le pays est bourré d’hommes
plus expérimentés qui pourraient faire ce travail aussi bien que moi, sinon
mieux. Avez-vous fait jouer vos relations ? »
Otto haussa les épaules. « Je
pense que si
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