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La Chute Des Géants: Le Siècle

La Chute Des Géants: Le Siècle

Titel: La Chute Des Géants: Le Siècle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
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ouvrir la portière et à l’arracher de son siège. Les gens se
bousculaient pour tenter de monter dans la voiture. À l’arrière, Grigori
reconnut le comte Malakov, un des directeurs des usines Poutilov, qui cherchait
à s’échapper. Il se rappela la façon dont Malakov avait dévoré des yeux la
princesse Bea, le jour où elle avait visité les ateliers. La foule le laissa
partir sous les quolibets sans le molester ; il s’enfuit à toutes jambes,
son col de fourrure remonté jusqu’aux oreilles. Neuf ou dix personnes s’entassèrent
dans la Rolls, quelqu’un prit le volant et démarra en klaxonnant gaiement.
    Au carrefour suivant, un groupe s’en
était pris à un homme mince et de haute taille portant un chapeau en feutre et
un manteau usé – manifestement un employé issu des classes moyennes. Un
soldat lui enfonçait son fusil dans les côtes pendant qu’une vieille femme lui
crachait au visage et qu’un jeune en salopette lui jetait une poignée d’ordures.
« Laissez-moi passer ! » disait l’homme sur un ton qui se
voulait autoritaire, mais les autres riaient de plus belle. Grigori reconnut
Kanine, un des surveillants de l’atelier de fonderie. Son chapeau tomba, et
Grigori vit qu’il avait perdu tous ses cheveux.
    Il se fraya un chemin jusqu’à
lui. « Je le connais, c’est un type correct ! cria-t-il. Il est
ingénieur. J’ai travaillé avec lui ! »
    Kanine le reconnut aussi. « Merci,
Pechkov, dit-il. Il faut que j’aille chez ma mère, voir si tout va bien. »
    Grigori se retourna vers la
foule. « Laissez-le passer. Je réponds de lui. » Repérant une femme
qui portait une bobine de ruban rouge – vraisemblablement volée dans une
mercerie –, il lui en demanda un morceau. Sous les vivats de la foule,
Grigori le noua autour de la manche gauche de Kanine.
    « Comme ça, vous serez
tranquille ! »
    Kanine lui serra la main et
reprit son chemin. La foule s’écarta.
    Le groupe de Grigori déboucha sur
la perspective Nevski, la large artère commerçante qui reliait le palais d’Hiver
à la gare Nikolaïevski. Elle était noire de monde ; les gens buvaient au
goulot, s’empiffraient, s’embrassaient ou tiraient en l’air. Les restaurants
ouverts portaient des panonceaux indiquant : « On nourrit les
révolutionnaires gratis ! » ou : « Mange ce que tu veux,
paye ce que tu peux ! » Un grand nombre de vitrines avaient été
brisées et les pavés étaient jonchés d’éclats de verre. Un des tramways haïs
des ouvriers – parce que le prix du billet était trop élevé – était
renversé au milieu de la chaussée et une automobile Renault s’y était emboutie.
    Grigori entendit un coup de feu,
mais il y en avait tant qu’il ne réagit pas immédiatement. Soudain Varia, à
côté de lui, chancela et s’écroula. Grigori et Iakov s’agenouillèrent auprès d’elle.
Elle semblait inconsciente. Ils la retournèrent, non sans mal, compte tenu de
son poids. Ils ne pouvaient plus rien pour elle, ils le comprirent tout de
suite : elle avait été touchée d’une balle en plein front et ses yeux fixaient
le ciel sans le voir.
    Grigori refusa de céder au
chagrin, et même de s’apitoyer sur Konstantin, le fils de Varia et son meilleur
ami. À la guerre, il avait appris à riposter d’abord et à pleurer ensuite. Mais
cette rue n’était pas un champ de bataille. Qui pouvait avoir voulu tuer Varia ?
La blessure était si précisément placée qu’il était difficile de croire à une
balle perdue.
    Il ne tarda pas à obtenir la
réponse quand Iakov s’effondra sur les pavés avec un bruit sourd, la poitrine
transpercée.
    « Nom de Dieu !» s’écria
Grigori en s’écartant rapidement des deux victimes. Il s’accroupit et balaya la
rue des yeux, cherchant un endroit où se réfugier.
    Un autre coup de feu claqua, et
un soldat qui passait, un foulard rouge à la chapka, s’écroula en se tenant le
ventre.
    Un tireur embusqué abattait les
révolutionnaires !
    En trois enjambées, Grigori eut
atteint le tramway renversé et plongea derrière.
    Une femme cria, puis d’autres. En
voyant les corps ensanglantés, tout le monde commença à s’enfuir.
    Grigori leva la tête et observa
les immeubles alentour. Le tireur devait appartenir à la police, mais où
était-il ? Les claquements de fusil venaient de l’autre côté de la rue, à
moins d’un pâté de maisons de distance, semblait-il. Le soleil de l’après-midi
éclairait

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