La Chute Des Géants: Le Siècle
tomber
dessus ? Lev ne répondit pas.
Vialov reprit : « Tu
vas partir dans cette foutue armée. »
Lev se figea. « Vous ne le
pensez pas vraiment.
— Tu m’as souvent vu dire
quelque chose que je ne pensais pas ?
— Je n’irai pas. Vous ne
pouvez pas m’y obliger.
— Si tu ne t’engages pas, c’est
moi qui te ferai enrôler.
— Vous ne pouvez pas faire
ça ! s’écria Marga.
— Bien sûr que si, lui dit
Lev d’une voix désespérée. Il fait ce qu’il veut dans cette ville.
— Et tu sais quoi ?
ajouta Vialov. Tu es peut-être mon gendre, mais j’espère bien que tu te feras
descendre. »
6.
Fin juin, Chuck et Doris Dixon
donnèrent une garden-party. Gus s’y rendit avec ses parents. Les hommes étaient
tous en costume, mais les femmes en tenue d’été arboraient des chapeaux
extravagants et la foule offrait un spectacle bigarré. Il y avait de la bière
et des sandwichs, de la limonade et des gâteaux. Un clown distribuait des
bonbons et un instituteur en short organisait des animations pour les enfants :
courses en sac, courses à la cuillère, courses à trois pattes.
Doris voulait parler de la guerre
avec Gus, pour changer. « On parle de mutineries dans l’armée française »,
dit-elle.
Gus savait que la réalité était
pire que les rumeurs : il y avait effectivement eu des mutineries dans
cinquante-quatre divisions françaises et vingt mille hommes avaient déserté. « C’est
sans doute la raison pour laquelle ils ont changé de tactique et renoncé à l’attaque
pour miser plutôt sur la défense, commenta-t-il d’un ton neutre.
— Il paraît que les
officiers français traitent mal leurs hommes. » Doris se délectait des
mauvaises nouvelles, qui apportaient de l’eau à son moulin. « En plus, l’offensive
Nivelle a été un véritable désastre.
— L’arrivée des troupes
américaines va leur remonter le moral. »
Les premières troupes américaines
avaient été embarquées sur des navires à destination de la France.
« Pour l’instant, nous n’avons
envoyé qu’un contingent symbolique. J’espère que cela veut dire que nous jouerons
un rôle mineur dans les combats.
— Non, ce n’est pas cela.
Nous devons recruter, entraîner et armer au moins un million d’hommes. Ça ne se
fait pas du jour au lendemain. Mais l’année prochaine, nous serons en mesure d’envoyer
plusieurs centaines de milliers de soldats. »
Regardant par-dessus l’épaule de
Gus, Doris remarqua : « Tiens, voilà une de nos nouvelles recrues. »
Gus se retourna et aperçut la
famille Vialov : Josef, Lena, Olga et Lev avec une petite fille. Lev était
en uniforme. Il était superbe, malgré son air maussade.
Gus était un peu gêné, mais son
père, coiffant sa casquette publique de sénateur, serra cordialement la main de
Josef en lui disant quelque chose qui le fit rire. La mère de Gus aborda
aimablement Lena et cajola le bébé. Gus comprit que ses parents s’attendaient à
cette rencontre et avaient décidé de faire comme s’ils avaient oublié qu’ils
avaient été fiancés, Olga et lui.
Il croisa le regard d’Olga et lui
adressa un signe de tête courtois. Elle rougit.
Lev faisait le bravache, comme
toujours. « Alors, Gus, le président est content de la façon dont vous
avez mis fin à la grève ? »
Les autres se turent pour
entendre la réponse de Gus. « Il est content que vous vous soyez montrés
raisonnables, répondit celui-ci avec diplomatie. Je vois que vous avez été
incorporé.
— Je me suis engagé. Pour le
moment, je suis élève officier.
— Et comment ça se passe à l’armée ? »
Gus s’aperçut soudain que Lev et
lui étaient entourés de tout un auditoire : les Vialov, les Dewar et les
Dixon. Depuis que les fiançailles avaient été rompues, c’était la première fois
qu’on voyait les deux hommes se côtoyer en public. Ils étaient tous curieux.
« Je m’y ferai, dit Lev. Et
vous ?
— Comment ça, moi ?
— Vous comptez vous engager ?
Après tout, c’est vous et votre président qui nous avez entraînés dans cette
guerre. »
Gus ne répondit pas. Il avait
honte. Lev disait vrai.
« Vous pouvez toujours
attendre de voir si vous serez appelé, poursuivit Lev, retournant le fer dans
la plaie. On ne sait jamais, vous aurez peut-être la chance d’y échapper. D’ailleurs,
si vous rejoignez Washington, le président pourra certainement vous faire
exempter », ajouta-t-il en
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