La Chute Des Géants: Le Siècle
n’était pas fier de lui. Son imprudence les avait mis, Bea et lui,
en grand danger. Ce voyage lui avait permis de se faire une bonne idée de la
situation qui régnait en Russie, mais le rapport qu’il rédigerait ne valait pas
les risques qu’il avait pris. Il s’était laissé convaincre par sa femme, ce qui
était toujours une erreur. Il décida qu’ils repartiraient par le premier train
le lendemain matin.
Son revolver était posé sur la
commode, à côté de ses boutons de manchettes. Il vérifia le mécanisme et l’ouvrit
pour charger des cartouches .455 Webley. L’habit n’était pas fait pour qu’on
porte une arme, et il finit par l’enfoncer dans une poche de son pantalon, où
il dessinait une bosse assez disgracieuse.
Il appela Jenkins pour qu’il
range sa tenue de voyage et passa dans la chambre de Bea. Elle était devant sa
coiffeuse, en sous-vêtements. Elle essayait un collier. Sa silhouette
présentait des contours plus voluptueux que d’ordinaire, ses hanches et sa
poitrine semblaient plus opulentes, et Fitz se demanda soudain si elle n’était
pas enceinte. Elle avait souffert de nausées le matin même à Moscou, dans la
voiture qui les conduisait à la gare. Il se rappelait sa première grossesse.
Une époque qui lui paraissait maintenant paradisiaque : il avait alors
Ethel et Bea, et il n’y avait pas de guerre.
Il s’apprêtait à lui dire qu’ils
repartiraient le lendemain quand, jetant un coup d’œil par la fenêtre, il resta
pétrifié.
La chambre, située sur la façade
de la maison, donnait sur le jardin et les champs qui s’étendaient jusqu’au
village voisin. Le regard de Fitz avait été accroché par une horde. Envahi d’un
sombre pressentiment, il s’approcha du carreau pour mieux voir.
Une centaine de paysans
traversaient le parc, venant vers la maison. La nuit n’était pas encore tombée,
mais un grand nombre d’entre eux brandissaient des torches. Certains agitaient
des fusils d’un air menaçant.
« Nom de Dieu ! »
lança-t-il.
Bea sursauta. « Fitz !
Auriez-vous oublié ma présence ?
— Venez voir. »
Bea étouffa une exclamation. « Oh
non !
Fitz appela : « Jenkins !
Jenkins, où êtes-vous ?» Il ouvrit la porte qui séparait les deux chambres
et aperçut son valet qui, occupé à accrocher ses vêtements sur un cintre, se
figea de surprise. « Nous sommes en danger de mort. Nous partons dans moins
de cinq minutes. Courez aux écuries, attelez la voiture et garez-la devant la
porte de la cuisine. Vite ! »
Jenkins lâcha les vêtements et
fila.
Fitz se tourna vers Bea. « Enfilez
un manteau, n’importe lequel, mettez des chaussures dans lesquelles vous pouvez
marcher et allez m’attendre à la cuisine en empruntant l’escalier de service. »
Elle obtempéra sans la moindre
manifestation d’hystérie. C’était tout à son honneur.
Sortant de la chambre, Fitz se
précipita, malgré sa claudication, vers celle d’Andreï. Son beau-frère n’y
était pas, Valeria non plus.
Fitz descendit dans le vestibule
où il trouva Gueorgui accompagné de quelques domestiques, uniquement des
hommes. Ils avaient l’air terrifié. Fitz avait peur, lui aussi. Il espérait que
cela ne se voyait pas.
Il trouva le prince et la
princesse au salon. Une bouteille de Champagne était ouverte dans un
rafraîchissoir et ils s’en étaient servis deux coupes, mais ils ne buvaient pas :
Andreï se tenait devant la cheminée et Valeria surveillait la foule hostile par
la fenêtre. Fitz s’approcha d’elle. Les paysans étaient presque à la porte.
Certains avaient des armes à feu, et la plupart brandissaient des couteaux, des
masses et des faux.
« Gueorgui va tenter de les
raisonner, dit Andreï. S’il n’y parvient pas, il faudra que j’aille leur parler
moi-même.
— Pour l’amour du ciel,
Andreï, répliqua Fitz, il n’est plus temps de discuter. Il faut partir
immédiatement. »
Avant qu’Andreï ait pu répondre,
des clameurs leur parvinrent depuis le vestibule.
Fitz se dirigea vers la porte qu’il
entrouvrit à peine. Gueorgui était en train de parlementer avec un jeune
paysan, un grand gaillard à la moustache hirsute qui lui barrait les joues :
Feodor Igorovitch, sans doute. Ils étaient entourés d’hommes et de femmes, dont
certains tenaient des torches enflammées.
D’autres se bousculaient pour
franchir le seuil. Leur accent local les rendait difficilement compréhensibles,
mais la même phrase
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