La Chute Des Géants: Le Siècle
solution. Il devait tuer le colonel.
Il savait comment faire. Il
fallait agir très vite, mais cela devait être possible.
Sans quoi, il était mort.
Il décrocha son fusil de son
épaule gauche et, sans prendre le temps de le glisser dans sa main droite, il
le projeta en avant de toutes ses forces, le ficha dans le flanc du colonel. La
pointe effilée de la longue baïonnette déchira l’étoffe de l’uniforme et
Grigori la sentit pénétrer dans la chair tendre du ventre. Le colonel poussa un
cri de douleur mais ne tomba pas. Malgré sa blessure, il pivota sur lui-même,
décrivant un arc de cercle avec son arme. Il tira.
La balle se perdit.
Grigori enfonça encore la
baïonnette vers le haut pour atteindre le cœur. Le visage du colonel se crispa
de souffrance. Il ouvrit la bouche, aucun son n’en sortit, et il s’effondra, la
main toujours serrée sur son pistolet.
Grigori retira la baïonnette d’un
mouvement brusque.
Les doigts du colonel laissèrent
échapper le pistolet.
Tous les hommes le regardaient se
tordre de douleur en silence sur l’herbe desséchée de la cour d’école. Grigori
dégagea le cran de sûreté de son fusil, visa le cœur et tira deux fois à bout
portant. L’officier s’immobilisa.
« Comme vous le disiez, mon
colonel. La peine de mort. »
5.
Fitz et Bea prirent le train à
Moscou. Ils n’étaient accompagnés que de Nina, la femme de chambre russe de
Bea, et du valet de chambre de Fitz, Jenkins, un ancien champion de boxe qui
avait été réformé parce qu’il ne voyait pas à plus de dix mètres.
Ils descendirent à Boulovnir, la
minuscule gare qui desservait le domaine du prince Andreï. Les experts que Fitz
avait consultés avaient conseillé à Andreï d’y construire un embryon de
commune, avec un hangar en bois, des silos à céréales et un moulin. Mais rien n’avait
été fait et les paysans continuaient à transporter leurs récoltes en charrette
jusqu’au marché de la ville, à trente kilomètres de là.
Andreï avait envoyé un cabriolet
à leur rencontre, et son cocher revêche avait regardé Jenkins ranger les malles
à l’arrière sans bouger. Alors qu’ils traversaient la campagne sur un chemin de
terre, Fitz se souvint de sa dernière visite, après son mariage avec la
princesse, et des villageois alignés au bord de la route pour les acclamer. L’atmosphère
était bien différente à présent. Les hommes qui travaillaient aux champs
levaient à peine les yeux sur leur passage et, dans les villages et les
hameaux, les habitants leur tournaient ostensiblement le dos.
Cette attitude exaspérait Fitz et
le mettait de fort mauvaise humeur, mais il se dérida en apercevant la vieille
demeure, dorée par la lumière douce de l’après-midi. Un essaim de domestiques
impeccables jaillit de la porte d’entrée comme un vol de canards accourant pour
recevoir leur pitance et s’empressa autour de la voiture, ouvrant les
portières, déchargeant les bagages. Le majordome d’Andreï, Gueorgui, baisa la
main de Fitz et lui débita en anglais une formule qu’il avait sans doute
apprise par cœur : « Heureux de vous revoir dans votre demeure de
Russie, monsieur le comte. »
Les maisons russes étaient
souvent grandioses mais en piteux état. Boulovnir ne faisait pas exception. Le
vestibule ouvert sur deux niveaux aurait eu besoin d’un bon coup de peinture,
le lustre majestueux était couvert de poussière et un chien s’était oublié sur
le sol de marbre. Le prince Andreï et la princesse Valeria les attendaient sous
un immense portrait du grand-père de Bea qui posait sur eux un regard sévère.
Bea se précipita vers Andreï pour
l’embrasser.
Valeria était une beauté
classique aux traits réguliers et aux cheveux noirs rassemblés en une coiffure
sage. Elle serra la main de Fitz et lui dit en français : « Merci d’être
venus. Nous sommes tellement contents de vous voir. »
Quand Bea s’écarta d’Andreï en s’essuyant
les yeux, Fitz tendit la main à son beau-frère. Andreï lui offrit sa main
gauche : sa manche droite flottait sur un membre absent. Il était pâle et
amaigri, comme s’il souffrait d’une maladie insidieuse, et sa barbe noire était
parsemée de gris alors qu’il n’avait que trente-trois ans.
« Vous ne pouvez pas savoir
combien je suis soulagé de vous voir », murmura-t-il.
Fitz demanda : « Quelque
chose ne va pas ? » Ils parlaient français, une langue qu’ils
maîtrisaient tous
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