La Chute Des Géants: Le Siècle
efficace à l’infanterie pendant sa
progression.
Walter avait entendu dire qu’un
canon encore plus monumental bombardait Paris à cent kilomètres de distance.
Cela paraissait incroyable.
Derrière les canons, il vit s’avancer
une Mercedes 37/95 Double Phaeton qu’il lui sembla reconnaître. Elle s’écarta
de la route pour venir se garer sur la place, devant l’église. Le père de
Walter en descendit.
Que venait-il faire ici ?
Walter franchit la petite porte
basse qui conduisait au clocher et descendit à la hâte l’étroit escalier en
colimaçon. La nef de la chapelle désaffectée avait été transformée en dortoir.
Il se fraya un chemin entre les matelas roulés et les caisses retournées qui
servaient de tables et de sièges.
Dehors, le cimetière était
encombré de passerelles de tranchées, des plateformes en bois préfabriquées qui
permettraient à l’artillerie et aux camions de munitions de franchir les
tranchées anglaises qui seraient prises par le bataillon d’assaut. Elles
étaient entassées entre les tombes pour ne pas être trop visibles du ciel.
Le flot d’hommes et de véhicules
qui traversaient le village d’est en ouest se réduisait maintenant à un mince
filet. Quelque chose se préparait.
Otto était en uniforme et lui
adressa un salut protocolaire. Walter remarqua que son père frétillait d’excitation.
« Nous avons un visiteur exceptionnel », annonça-t-il sans préambule.
C’était donc cela. « Qui
est-ce ?
— Tu verras. »
Walter supposa qu’il s’agissait
du général Ludendorff, désormais commandant en chef des armées. « Qu’est-ce
qu’il veut ?
— Parler aux soldats,
évidemment. Rassemble les hommes sur la place de l’église, je te prie.
— Dans combien de temps ?
— Il me suivait de près.
— Parfait. » Walter
parcourut la place du regard. « Sergent Schwab, venez ici. Vous et le caporal
Grunwald, venez, et vous, les hommes, aussi. » Il envoya des messagers
dans l’église, à la cantine qui avait été installée dans une vaste grange et au
campement accroché à la butte, au nord. « Je veux tout le monde en tenue
devant l’église dans quinze minutes. Vite ! » Ils partirent en
courant.
Walter fit le tour du village
pour avertir les officiers et distribuer ses ordres aux soldats tout en gardant
un œil sur la route. Il trouva son chef de corps en train de terminer un petit
déjeuner tardif de pain et de sardines en boîte dans une ancienne laiterie qui
empestait le fromage, en bordure du village.
En moins d’un quart d’heure, deux
mille hommes étaient rassemblés et, dix minutes plus tard, ils étaient
présentables, uniformes boutonnés et casquettes sur la tête. Walter amena un
camion à plateau et le rangea devant les hommes, l’arrière tourné vers eux. À l’aide
de caisses de munitions, il bricola quelques marches.
Otto prit un tapis rouge dans la
Mercedes qu’il étala devant cet escalier improvisé.
Walter fît sortir Grunwald du
rang – un grand gaillard aux mains et aux pieds impressionnants –
pour l’envoyer sur le toit de l’église avec des jumelles et un sifflet.
L’attente commença.
Une demi-heure s’écoula, puis une
heure. Les hommes s’impatientaient, les rangs se disloquaient, les bavardages
allaient bon train.
Au bout d’une heure encore,
Grunwald siffla enfin.
« Préparez-vous ! aboya
Otto. Il arrive. »
Une cacophonie d’ordres fusa. Les
hommes se mirent rapidement au garde-à-vous tandis qu’un cortège de véhicules
débouchait sur la place.
La portière d’une voiture blindée
s’ouvrit et un homme en uniforme de général en surgit. Mais il n’avait pas le
crâne rond et dégarni de Ludendorff. Le visiteur de marque avait une étrange
allure avec sa main gauche enfoncée dans la poche de sa tunique comme s’il
avait le bras mutilé.
Tout à coup, Walter se rendit
compte qu’il avait devant lui le kaiser en personne. Le général de division Schwarzkopf
s’approcha et salua.
Quand les hommes comprirent qui
était leur visiteur, un murmure s’éleva et se transforma bientôt en explosion
de joie. Le général fut d’abord scandalisé de cette manifestation d’indiscipline,
mais le kaiser esquissa un sourire bienveillant et Schwarzkopf changea aussitôt
d’expression, prenant l’air approbateur.
Le kaiser gravit les marches,
monta sur le plateau du camion et se laissa acclamer. Quand le tumulte s’apaisa
enfin, il prit la parole :
Weitere Kostenlose Bücher