La Chute Des Géants: Le Siècle
tellement
qu’il devenait impossible de les toucher sans se brûler. La chaleur les
déformait suffisamment pour fausser le tir. Aussi, les servants les
refroidissaient-ils avec des sacs de toile imbibés d’eau. Pour les aider, les
soldats de Walter se portèrent volontaires pour aller remplir les seaux dans
les trous d’obus les plus proches. Les fantassins étaient toujours prêts à
aider les artilleurs avant les attaques : les ennemis tués par les canons
seraient autant de moins à abattre sur le terrain quand ils avanceraient.
Le brouillard se leva aux
premières lueurs du jour. Autour des canons, l’explosion des charges dissipait
la brume, mais au loin, on ne voyait rien. Walter était ennuyé. Les canonniers
allaient devoir tirer au jugé. Heureusement, ils avaient des plans détaillés et
précis des positions anglaises, qui avaient été occupées par les Allemands à
peine un an plus tôt. Toutefois, rien ne valait l’analyse de l’œil humain. Cela
commençait mal.
Le brouillard se mélangeait à la
fumée. Walter noua un mouchoir sur son nez et sa bouche. Les Anglais ne
ripostaient pas, du moins dans ce secteur. C’était encourageant, estima-t-il.
Leur artillerie avait peut-être été détruite. Le seul Allemand à avoir trouvé
la mort à proximité de Walter était un servant d’obusier dont la pièce avait
explosé. Sans doute l’obus avait-il éclaté dans le fût. Des brancardiers
emportèrent le corps et une équipe médicale vint bander ceux qui avaient été
blessés par des éclats.
À neuf heures du matin, il mit
ses hommes en position d’attaque, les soldats d’assaut couchés sur le sol
derrière les canons, les fantassins debout dans les tranchées. Derrière eux
étaient rassemblés l’artillerie de la deuxième vague, les médecins et infirmiers,
les téléphonistes, les ravitailleurs et les messagers.
Les troupes d’assaut portaient le
casque moderne, dit en « seau à charbon ». Elles avaient été les
premières à abandonner l’ancien Pickelhaube, le « casque à pointe ».
Elles étaient armées de carabines Mauser K 98. Leur canon court les
rendait imprécises de loin, mais elles étaient moins encombrantes que les longs
fusils dans l’espace réduit des tranchées. Chaque homme avait également un sac
accroché en bandoulière sur la poitrine, contenant une douzaine de grenades à
manche. Les Tommies les appelaient les « écrase-patates »
parce qu’elles ressemblaient aux presse-purée qu’utilisaient leurs femmes. Il
fallait croire qu’il y en avait dans toutes les cuisines de Grande-Bretagne.
Walter avait appris ce détail en interrogeant les prisonniers de guerre :
personnellement il n’avait jamais mis les pieds dans une cuisine anglaise.
Walter mit son masque à gaz et
fit signe aux hommes d’en faire autant pour éviter de respirer les vapeurs
toxiques qu’ils auraient eux-mêmes répandues quand ils atteindraient les lignes
ennemies. À neuf heures et demie, il se leva. Il passa son fusil en bandoulière
et prit une grenade dans chaque main, comme devaient le faire les troupes d’assaut
montant à l’attaque. Ne pouvant pas donner d’ordre oralement, car personne ne l’aurait
entendu, il fit un geste du bras et s’élança en avant.
Ses hommes le suivirent dans le
no man’s land.
Le sol était ferme et sec :
il n’y avait pas eu de grosses pluies depuis plusieurs semaines. C’était une
bonne chose pour les attaquants, les déplacements des hommes et des véhicules
seraient plus faciles.
Ils couraient courbés en deux
tandis que l’artillerie allemande tirait au-dessus de leurs têtes. Les hommes
de Walter étaient conscients du danger que pouvaient présenter les obus tirés
trop court par leur propre camp, surtout par brouillard, quand les observateurs
étaient incapables de corriger le tir des canonniers. Mais le jeu en valait la
chandelle : ils pourraient ainsi s’approcher si près des tranchées
ennemies que, lorsque les bombardements cesseraient, les Anglais n’auraient pas
le temps de réagir et de repositionner leurs mitrailleuses avant que les
troupes d’assaut ne leur tombent dessus.
Tout en traversant le no man’s
land au pas de course, Walter espérait que les barbelés d’en face avaient été
détruits par l’artillerie. Faute de quoi, ses hommes perdraient du temps à les
cisailler.
Il entendit une explosion sur sa
droite, suivie d’un cri. Un instant plus tard, un scintillement au niveau du
sol
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