La Chute Des Géants: Le Siècle
poignées de main
à la ronde et s’apprêtait à remonter dans la charrette quand Sotnik l’arrêta.
« Dis donc. » Il
désigna une caisse ouverte. « Il manque une bouteille. »
La bouteille en question se
trouvait sur la table du bistrot et Sotnik le savait parfaitement. Pourquoi
cherchait-il la bagarre maintenant ? Ça sentait le roussi.
Lev dit à Sid en anglais : « File-moi
une pièce d’or. »
Sid ouvrit la sacoche et lui en
tendit une.
Lev la mit en équilibre sur son
poing fermé et la lança en l’air en la faisant tournoyer. La pièce scintilla au
clair de lune. Pendant que Sotnik se précipitait pour l’attraper au vol, Lev
sauta sur le siège de la charrette.
Sid fit claquer son fouet.
« Dieu vous garde !
cria Lev tandis que la charrette se mettait en branle. Et prévenez-moi si vous
voulez d’autre whisky. »
La mule quitta la cour en
trottinant et bifurqua sur la route. Lev respira.
« On a combien ?fit
Sid.
— Ce qu’on avait demandé.
Trois cent soixante roubles chacun. Moins cinq. La perte de la dernière pièce
est pour moi. Tu as un sac ? »
Sid lui tendit une grande
pochette de cuir. Lev y transféra soixante-deux roubles.
Il prit congé de Sid et sauta de
la charrette à la hauteur des quartiers des officiers de l’armée américaine.
Comme il se dirigeait vers sa chambre, le capitaine Hammond le héla. « Pechkov !
Où étais-tu ? »
Lev aurait préféré ne pas transporter
trois cent cinquante-cinq roubles dans une sacoche cosaque. « J’ai fait un
tour en ville, mon capitaine.
— Il fait nuit !
— C’est pour ça que je suis
revenu.
— On te cherchait. Le
colonel veut te voir.
— J’y vais tout de suite. »
Lev se dirigea vers sa chambre où
il comptait laisser sa pochette de roubles, Hammond le remarqua : « Le
bureau du colonel est de l’autre côté.
— Oui, mon capitaine. »
Il fit demi-tour.
Le colonel Markham n’aimait pas
Lev. Ce n’était pas un officier mobilisé pour la guerre mais un militaire de
carrière. Il avait l’impression que Lev ne partageait pas sa volonté de prouver
la supériorité de l’armée américaine et il avait raison… à cent dix pour cent,
aurait-il pu dire.
Lev envisagea de déposer la
sacoche devant la porte du colonel ; cependant, elle contenait trop d’argent
pour qu’il puisse la laisser sans surveillance.
« Où étiez-vous passé ?
lança Markham dès que Lev franchit le seuil.
— Je visitais un peu la
ville, mon colonel.
— Je vous affecte ailleurs.
Nos alliés britanniques ont besoin d’interprètes et ils m’ont demandé de vous
détacher chez eux. »
La perspective était assez
plaisante. « Bien, mon colonel.
— Vous partez avec eux à
Omsk. »
Voilà qui était beaucoup moins
plaisant. Omsk se trouvait à six mille kilomètres au cœur de la Russie barbare.
« Pour quoi faire, mon
colonel ?
— Ils vous donneront leurs
instructions. »
Lev n’avait aucune envie d’aller
là-bas. C’était beaucoup trop loin. « Me demandez-vous de me porter
volontaire, mon colonel ? »
Le colonel hésita. Lev en
déduisit que cette affectation se faisait en effet sur la base du volontariat,
dans la mesure où ce mot avait un sens dans l’armée.
« Vous refusez ?
répliqua Markham d’un ton menaçant.
— Uniquement s’il s’agit d’être
volontaire, bien sûr.
— Je vais vous exposer la
situation, lieutenant. Si vous vous portez volontaire, je ne vous ferai pas
ouvrir votre sac pour voir ce qu’il contient. »
Lev jura intérieurement. Il était
fait. Le colonel était un sacré malin. Et c’était le billet de Grigori qui se
trouvait dans ce sac.
Omsk, se dit-il. Merde.
« J’accepte avec plaisir, mon colonel. »
4.
Ethel monta chez Mildred. Son
appartement était propre mais en désordre : des jouets traînaient par
terre, une cigarette fumait dans un cendrier, une culotte séchait devant le
feu. « Tu peux surveiller Lloyd ce soir ? » demanda Ethel. Elle
se rendait à une réunion du parti travailliste avec Bernie. Lloyd avait
maintenant presque quatre ans et était tout à fait capable de sortir de son lit
et d’aller se promener tout seul si on ne l’avait pas à l’œil.
« Bien sûr », répondit
Mildred. C’était un service qu’elles se rendaient souvent réciproquement le
soir. « J’ai reçu une lettre de Billy, ajouta-t-elle.
— Il va bien ?
— Oui. Mais je crois qu’il n’est
plus en
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