La Chute Des Géants: Le Siècle
ambiguës. Fitz fut ravi d’apprendre
que Lloyd George avait nommé Winston Churchill secrétaire d’État à la Guerre.
De tous les hommes politiques en vue, Churchill était le plus fervent partisan
de l’intervention en Russie. Mais certains journaux professaient une opinion
bien différente. Fitz n’en fut pas étonné de la part du Daily Herald et
du New Statesman qui, de son avis, étaient des publications plus ou
moins bolcheviques. Pourtant le Daily Express conservateur lui-même
titrait : « Retirons-nous de Russie ».
Malheureusement, la presse
disposait d’informations très précises sur ce qui se passait. Elle savait même
que les Anglais avaient aidé Koltchak à lancer le coup d’État qui avait
renversé le directoire et fait de lui le chef suprême. D’où tenait-elle ces
renseignements ? Il leva les yeux du journal. Il avait établi ses
quartiers à l’école de commerce. Son aide de camp était assis à un bureau en
face de lui. « Murray, dit-il, la prochaine fois qu’il y aura un paquet de
lettres des hommes à envoyer, apportez-les-moi. »
Ce n’était pas régulier. Murray
ne cacha pas sa surprise. « Mon colonel ? »
Fitz jugea préférable de lui
donner des explications. « Je soupçonne des fuites. La censure a dû s’endormir.
— Ils pensent peut-être
pouvoir relâcher leur vigilance maintenant que la guerre est finie en Europe.
— Certainement. Mais je
voudrais être sûr que la fuite ne vient pas de chez nous. »
Le journal publiait en dernière
page une photo de la responsable de la campagne « La Russie aux Russes ».
Fitz découvrit avec stupeur qu’il s’agissait d’Ethel. Elle avait été intendante
à Ty Gwyn et voilà que, selon L’Express , elle était secrétaire générale
du syndicat national des ouvriers du textile.
Il avait couché avec bon nombre
de femmes depuis. Dernièrement encore, à Omsk, avec une superbe blonde russe,
maîtresse délaissée d’un gros général tsariste trop soûl et trop paresseux pour
la baiser lui-même. Cependant le souvenir d’Ethel éclipsait tous les autres. Il
se demandait comment était son enfant. Il avait probablement une demi-douzaine
de bâtards de par le monde, mais celui d’Ethel était le seul dont il
connaissait l’existence avec certitude.
Et c’était elle qui attisait l’opposition
à l’intervention en Russie. Fitz comprenait maintenant d’où venaient les
informations. Son frère était sergent dans le bataillon des copains d’Aberowen.
Ce type avait toujours été un agitateur. Fitz était certain qu’il renseignait
sa sœur. Cette fois, je vais le coincer, se promit Fitz, et il le payera cher.
Pendant plusieurs semaines, les
blancs avancèrent rapidement, repoussant devant eux les rouges surpris, qui
avaient cru le gouvernement sibérien sans consistance. Si les troupes de
Koltchak parvenaient à rejoindre leurs partisans d’Arkhangelsk au nord et l’armée
de volontaires de Denikine au sud, elles pourraient se déployer en arc de
cercle, formant à l’est comme une lame de cimeterre de mille cinq cents
kilomètres qui progresserait irrésistiblement vers Moscou.
Fin avril, les rouges
contre-attaquèrent.
Fitz était alors à Bougourouslan,
une ville morne et appauvrie située dans une région forestière à cent cinquante
kilomètres à l’est de la Volga. Quelques églises et bâtiments municipaux en
pierre délabrés pointaient au-dessus des toits de maisons basses en bois, comme
des mauvaises herbes sur un dépotoir. Fitz se trouvait dans une grande salle de
l’hôtel de ville avec l’unité de renseignements, plongé dans la lecture des
interrogatoires de prisonniers. Il n’avait pas conscience que le vent avait
tourné jusqu’au moment où il aperçut par la fenêtre les soldats dépenaillés de
l’armée de Koltchak remonter la rue principale dans le mauvais sens. Il envoya
un interprète américain, Lev Pechkov, interroger les hommes qui battaient en
retraite.
Pechkov revint leur rapporter une
triste histoire. Les rouges avaient attaqué en force depuis le sud, frappant le
flanc gauche très étiré de l’armée de Koltchak. Pour éviter que son armée ne
soit coupée en deux, le commandant local des blancs, le général Belov, leur
avait ordonné de se replier et de se regrouper.
Quelques minutes plus tard, on
leur amena un déserteur rouge pour le questionner. Il avait été colonel dans l’armée
du tsar. Fitz fut consterné par son récit. Les rouges
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