La Chute Des Géants: Le Siècle
appelée « Phi Phi ».
En tant que proche du président, il était invité partout.
Il passait de plus en plus de
temps avec Rosa Hellman. Quand il discutait avec elle, il devait faire
attention à ne lui dire que ce qu’il pouvait accepter de voir imprimé, même si
la discrétion était devenue chez lui une seconde nature. Cette jeune femme
était vraiment brillante. Il l’appréciait énormément, sans que cela n’aille
plus loin. Elle était toujours prête à sortir avec lui, mais quelle journaliste
refuserait l’invitation d’un collaborateur du président ? Il ne lui prenait
jamais la main ni ne l’embrassait quand ils se quittaient, de peur qu’elle n’imagine
qu’il profitait de la situation.
Il la retrouva au Ritz pour
prendre un cocktail.
« Qu’est-ce que c’est qu’un
cocktail ? demanda-t-elle.
— Un alcool fort déguisé pour
paraître plus respectable. Je vous assure que c’est très à la mode. »
Rosa aussi était à la mode. Elle
avait les cheveux coupés au carré. Son chapeau cloche lui descendait sur les
oreilles comme un casque allemand. Les corsets étaient dépassés, on ne soulignait
plus les courbes. Sa robe drapée tombait droit sur une taille très basse. En
dissimulant ses formes, elle invitait Gus, paradoxalement, à imaginer le corps
qui se cachait dessous. Elle mettait de la poudre et du rouge à lèvres, ce qui
paraissait encore très audacieux aux Européennes.
Ils prirent un martini et
ressortirent. Ils attirèrent de nombreux regards en traversant le long
vestibule du Ritz : l’homme dégingandé à la grosse tête et la jeune femme
borgne menue, lui en habit, elle en soie bleue argentée. Ils prirent un taxi
pour rejoindre le Majestic où les Anglais donnaient tous les samedis soir un
bal très couru.
La salle était comble. Les jeunes
assistants qui accompagnaient les délégations, des journalistes du monde entier
et des soldats revenus des tranchées dansaient avec des infirmières et des
secrétaires au son du jazz. Rosa apprit le fox-trot à Gus, puis l’abandonna
pour aller danser avec un beau jeune homme aux yeux noirs qui appartenait à la
délégation grecque.
Jaloux, Gus se mit à errer dans
les salons en bavardant avec des connaissances. Il tomba soudain sur Lady Maud
Fitzherbert en robe violette et souliers pointus. « Bonjour !» lui
dit-il, tout étonné.
Elle parut contente de le voir. « Vous
avez l’air en forme.
— J’ai eu de la chance. Je
suis entier. »
Elle effleura la cicatrice qui
lui barrait la joue. « Presque.
— Une égratignure.
Voulez-vous danser ? »
Il la prit dans ses bras. Elle
était maigre. Il sentait ses os sous sa robe. Ils dansèrent une
valse-hésitation. « Comment va Fitz ? demanda Gus.
— Bien, je crois. Il est en
Russie. Je ne suis certainement pas censée vous le dire, mais c’est un secret
de Polichinelle.
— J’ai vu des journaux
anglais titrer « La Russie aux Russes ».
— Oui. C’est une campagne
menée par une jeune femme que vous avez dû croiser à Ty Gwyn, Ethel Williams,
qui s’appelle maintenant Eth Leckwith.
— Je ne me souviens pas d’elle.
— C’était notre intendante.
— Alors ça !
— Elle est en train de faire
son chemin dans le paysage politique britannique.
— Comme le monde a changé ! »
Maud l’attira plus près et baissa
la voix : « Vous n’auriez pas des nouvelles de Walter par hasard ? »
Gus se rappelait l’officier
allemand qu’il avait vu tomber à Château-Thierry et qu’il avait cru
reconnaître. Mais il n’était pas du tout sûr qu’il s’agissait de Walter. Aussi
répondit-il : « Non, je suis désolé. Cela doit être dur pour vous.
— Aucune information ne sort
d’Allemagne et personne n’a le droit d’y aller !
— Je crains que vous ne
deviez attendre la signature du traité.
— Et ce sera quand ? »
Gus n’en savait rien. « La
convention de la Société des nations est en bonne voie, mais il va falloir du
temps pour arriver à un accord sur le montant des réparations à faire payer à l’Allemagne.
— C’est ridicule, fit Maud d’un
ton amer. Nous avons besoin que les Allemands soient prospères, pour pouvoir
leur vendre des voitures, des cuisinières et des aspirateurs. Si nous
paralysons leur économie, l’Allemagne se jettera dans les bras des bolcheviks.
— Les gens veulent se
venger.
— Vous vous souvenez, en
1914 ? Walter ne voulait pas de la guerre. La
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