La Chute Des Géants: Le Siècle
avaient été surpris par l’offensive
de Koltchak, mais s’étaient rapidement rassemblés et réapprovisionnés. Trotski
avait déclaré que l’Armée rouge devait poursuivre l’offensive à l’est. « Trotski
pense que si les rouges échouent, les Alliés reconnaîtront Koltchak comme chef
suprême et inonderont ensuite la Sibérie d’hommes et de matériel. »
C’était exactement ce qu’espérait
Fitz. Dans un russe hésitant, il demanda : « Et qu’a fait Trotski ? »
L’homme répondit à toute vitesse
et Fitz ne comprit ce qu’il avait dit qu’au moment où Pechkov lui traduisit ses
propos.
« Trotski a fait appel au
parti bolchevique et aux syndicats pour qu’on lui envoie de nouvelles recrues.
La réaction a été incroyable. Vingt-deux provinces ont envoyé des détachements.
Le comité provincial de Novgorod a mobilisé la moitié de ses membres ! »
Fitz essaya d’imaginer Koltchak
suscitant pareille réaction chez ses partisans. Cela n’arriverait jamais.
Il retourna dans ses quartiers
pour faire ses bagages. Il faillit partir trop tard. Les copains se mirent en
marche juste avant l’arrivée des rouges et une poignée d’hommes restèrent en
arrière. Le soir, l’armée occidentale de Koltchak se repliait intégralement et
Fitz reprenait la direction de l’Oural à bord d’un train.
Deux jours plus tard, il se
retrouvait à l’école de commerce d’Oufa. Il était fou de rage. Il faisait la
guerre depuis cinq ans et savait que la chance avait tourné ; il avait
appris à en reconnaître les signes. La guerre civile russe touchait à sa fin.
Les blancs étaient trop faibles,
voilà tout. Les révolutionnaires allaient l’emporter. Seule une invasion alliée
aurait pu inverser le cours des choses – et il ne fallait pas compter
dessus : le peu qu’il faisait avait déjà valu assez d’ennuis à Churchill.
Billy Williams et Ethel veillaient à ce qu’on ne leur envoie jamais les
renforts dont ils avaient besoin.
Murray lui apporta un sac de
courrier. « Vous avez demandé à voir les lettres qu’envoient nos hommes,
mon colonel », dit-il non sans une pointe de réprobation dans la voix.
Insensible aux scrupules de
Murray, Fitz ouvrit le sac, en quête d’une lettre du sergent Williams. Il
ferait payer cette catastrophe à quelqu’un.
Il trouva ce qu’il cherchait. L’enveloppe
était adressée à « E. Williams », son nom de jeune fille. Le
sergent Williams craignait sans doute que son nom de femme mariée n’attire l’attention
sur sa lettre déloyale.
Fitz la lut. Billy avait une
grande écriture assurée. Le texte lui parut anodin quoiqu’un peu étrange. Mais
Fitz avait travaillé au bureau 40 et s’y connaissait en codes. Il
entreprit de déchiffrer celui-ci.
« Par ailleurs, mon colonel,
demanda Murray, avez-vous vu l’interprète américain, Pechkov, ces derniers
jours ?
— Non. Pourquoi ?
— Il semblerait que nous l’ayons
perdu. »
2.
Trotski était épuisé, mais il en
fallait plus pour entamer son courage. Les rides creusées par les soucis n’atténuaient
pas l’éclat que l’espoir faisait briller dans ses yeux. Grigori constatait,
admiratif, qu’il était porté par une foi inébranlable dans sa mission. C’était
le cas de tous ces hommes : de Lénine et de Staline également. Ils étaient
tous convaincus de détenir la solution, quel que soit le problème, qu’il s’agisse
de réforme agraire ou de stratégie militaire.
Grigori n’était pas comme eux. Il
essayait, avec Trotski, de contrer au mieux les armées blanches, mais n’était
jamais sûr que leur décision ait été la bonne tant que le résultat n’était pas
connu. C’était peut-être pour cela que Trotski était mondialement connu alors
que Grigori n’était qu’un commissaire comme un autre.
Grigori se trouvait, comme cela
lui arrivait souvent, dans le train personnel de Trotski, assis devant une
carte déployée sur la table.
« Nous n’avons pas
grand-chose à craindre des contre-révolutionnaires du Nord », dit Trotski.
Grigori acquiesça. « D’après
nos renseignements, des mutineries se produisent chez les marins et les soldats
britanniques.
— Ils ont perdu tout espoir
de rejoindre les forces de Koltchak. Ses armées regagnent la Sibérie aussi vite
qu’elles le peuvent. Nous pourrions les poursuivre de l’autre côté de l’Oural,
mais il me semble que nous avons mieux à faire ailleurs.
— À
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