La Chute Des Géants: Le Siècle
des spiritueux. La prohibition
était le serpent tapi dans le paradis de Lev.
« On est en train de crever,
lança Josef avec une franchise inhabituelle. J’ai fermé cinq bars en une
semaine, et ce n’est qu’un début. »
Lev hocha la tête. « Je
propose de la bière légère dans les boîtes de nuit, mais personne n’en veut. »
La nouvelle loi autorisait la vente de bière titrant moins d’un demi-degré. « Il
faut en boire un gallon pour s’éclater.
— On peut toujours refiler
un peu de gnôle sous le comptoir, mais on n’en trouve pas assez et, de toute
façon, les gens ont la trouille d’en acheter. »
Olga était consternée. Elle ne
suivait pas leurs affaires de très près. « Mais papa, qu’est-ce que tu vas
faire ?
— Je ne sais pas »,
répondit Josef.
C’était un autre changement.
Autrefois, une crise de ce genre n’aurait pas pris Josef au dépourvu. Or cela
faisait trois mois que le Volstead Act avait été voté et il n’avait pris
aucune mesure pour s’adapter à la situation. Lev avait cru qu’il sortirait un
lapin de son chapeau. Il commençait à comprendre, avec consternation, que son
beau-père n’en ferait rien.
C’était préoccupant. Lev avait
une femme, une maîtresse et deux enfants, qui vivaient tous des revenus des
entreprises de Vialov. Si son empire s’effondrait, il faudrait que Lev arrive à
se retourner.
Le téléphone sonna. Polina appela
Olga qui passa dans l’entrée. Lev l’entendit parler. « Salut, Ruby. Tu es
bien matinale. » Elle se tut. « Comment ? Je ne te crois pas. »
Un long silence suivit. Puis Olga se mit à pleurer.
Josef leva les yeux de son
journal et dit : « Bordel, qu’est-ce que… ? »
Olga raccrocha brutalement et les
rejoignit dans la salle à manger. Les yeux pleins de larmes, elle tendit le
doigt vers Lev. « Espèce de salaud !
— Qu’est-ce que j’ai fait ?
se défendit-il, tout en craignant de connaître la réponse.
— Toi, toi… tu es vraiment
le dernier des salauds ! »
Daisy braillait à pleins poumons.
« Olga, ma chérie, que se
passe-t-il ? demanda Josef.
— Il lui a fait un gosse ! »
cria Olga.
Lev jura tout bas. « Et
merde ! »
« Qui ? À qui est-ce qu’il
a fait un gosse ?
— À sa pute ! Marga !
Celle qu’on a vue au parc. »
Josef s’empourpra. « La
chanteuse du Monte Carlo ? Lev lui a fait un gosse ? »
Olga hocha la tête en sanglotant.
Josef se tourna vers Lev. « Espèce
de fumier.
— Restons calmes,
voulez-vous », murmura Lev.
Josef se leva. « Bordel, je
croyais t’avoir donné une leçon. Ça ne t’a pas suffi ? »
Lev repoussa sa chaise et bondit
sur ses pieds. Il resta à distance respectueuse de Josef, bras tendus dans un
geste défensif. « Allons, calmez-vous, Josef.
— Toi, tu ferais mieux de la
boucler », rétorqua Josef. Avec une agilité surprenante, il bondit vers
lui, serra ses gros poings et frappa. Lev ne fut pas assez rapide pour esquiver
et le coup l’atteignit au sommet de la pommette gauche. La douleur fut atroce,
et il fit un pas en arrière en titubant.
Olga prit dans ses bras Daisy qui
hurlait et recula en direction du seuil. « Arrêtez ! »
cria-t-elle.
Josef frappa du poing gauche.
Cela faisait longtemps que Lev ne
s’était pas battu, mais il avait grandi dans les bas quartiers de Petrograd et
n’avait pas perdu tous ses réflexes. Il bloqua le crochet de Josef, s’approcha
tout contre lui et se mit à lui marteler le ventre des deux poings. Josef en
eut le souffle coupé. Puis Lev lui envoya de courts directs au visage, lui
meurtrissant le nez, la bouche et les yeux.
Josef était un costaud doublé d’une
brute, et ceux à qui il avait affaire avaient trop peur de lui pour riposter ;
cela faisait longtemps qu’il n’avait pas eu à se défendre. Il chancela, levant
les bras dans une vaine tentative pour se protéger.
Les bagarres de rue avaient
appris à Lev à ne pas s’arrêter tant que son adversaire restait debout, et il
ne lâcha pas Josef, le bourrant de coups au corps et à la tête, jusqu’à ce que
l’autre tombe à la renverse, faisant basculer une chaise, et se retrouve au
tapis.
La mère d’Olga, Lena, arriva
précipitamment. Dans un hurlement, elle s’agenouilla à côté de son mari. Polina
et la cuisinière pointèrent le nez depuis la porte de la cuisine, l’air
terrifié. Le visage de Josef était couvert d’hématomes et de sang, mais il
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