La Chute Des Géants: Le Siècle
tenue de travail. Da avait suspendu sa
veste et était en gilet et en manches de chemise, avec un col et une cravate – il
ressortait après le dîner pour une réunion syndicale. Mam réchauffait la potée
sur la cuisinière. Gramper était assis avec eux, suivant leur discussion avec
un sourire en coin, comme s’il avait déjà entendu tout cela bien souvent.
« En fait, nous n’avons pas
les vrais originaux, reconnut Da. Ils sont usés, depuis tous ces siècles. Ce
que nous avons, ce sont des copies.
— Alors, où sont les copies ?
— Un peu partout – dans
des couvents, des musées…
— Il faudrait les conserver
toutes au même endroit.
— Il existe plus d’une copie
de chaque livre, vois-tu, et certaines sont meilleures que d’autres.
— Comment une copie peut-elle
être meilleure qu’une autre ? Il ne peut pas y avoir de différences entre
elles.
— Si. Au fil des ans, des
erreurs humaines s’y sont glissées.
— Mais alors, demanda Billy
perplexe, comment sait-on laquelle est la bonne ?
— Il y a des savants qui se
livrent à ce qu’on appelle la critique textuelle : ils se chargent de
comparer les différentes versions et de produire un texte autorisé. »
Billy était scandalisé. « Tu
veux dire qu’il n’existe pas un livre qui transmette la parole de Dieu de façon
incontestable ? Les hommes en discutent et expriment leur opinion ?
— Oui.
— Comment savons-nous qu’ils
ont raison ? »
Da sourit d’un air entendu, ce
qui voulait dire qu’il était dos au mur. « Nous croyons que s’ils
travaillent dans l’humilité et la prière, Dieu guidera leurs pas.
— Et sinon ?»
Mam posa quatre bols sur la
table. « Ne discute pas avec ton père. » Elle prit la miche de pain
et coupa quatre grosses tranches.
« Laisse-le faire, Cara, ma
fille, intervint Gramper. Laisse ce garçon poser des questions.
— Nous avons foi dans la
capacité de Dieu de faire que sa parole nous parvienne telle qu’il le souhaite.
— Ça ne tient pas debout, ce
que tu dis ! »
Mam le reprit à nouveau. « Ne
parle pas à ton père sur ce ton ! Tu n’es qu’un enfant, tu ne sais rien. »
Billy l’ignora : « Pourquoi
Dieu n’a-t-il pas guidé le travail des copistes et ne les a-t-il pas empêchés
de faire des fautes, s’il voulait vraiment que nous connaissions sa parole ?
— Il est des choses qu’il ne
nous est pas donné de comprendre », répliqua Da.
Cette réponse était la moins
convaincante de toutes, et Billy ne s’y arrêta pas. « Si les copistes ont
pu commettre des erreurs, ceux qui ont fait de la critique textuelle ont pu se
tromper aussi.
— Il faut avoir la foi,
Billy.
— Foi dans la parole de
Dieu, oui, pas dans celle d’une bande de professeurs de grec ! »
Mam s’assit à table et repoussa
une mèche grisonnante de ses yeux. « Évidemment, comme d’habitude, c’est
toi qui as raison et tous les autres tort, c’est ça ? »
Ce reproche éculé le piquait toujours
au vif, parce qu’il semblait justifié. Comment pouvait-il se croire plus sage
que les autres ? « Ce n’est pas moi, protesta-t-il. C’est une
question de logique !
— Oh, toi et ta fichue
logique ! dit sa mère. Mange donc, va. »
La porte s’ouvrit sur Mrs Dai
Cheval. Cela n’avait rien d’inhabituel dans le quartier : seuls les
étrangers frappaient. Mrs Dai portait un tablier et des bottes d’homme :
ce qu’elle avait à dire devait être si urgent qu’elle n’avait même pas mis son
chapeau pour sortir. Visiblement émue, elle brandit une feuille de papier. « Je
suis expulsée ! annonça-t-elle. Qu’est-ce que je vais faire ? »
Da se leva et lui céda sa chaise.
« Asseyez-vous et reprenez votre souffle, madame Dai Cheval, dit-il
calmement. Laissez-moi lire cette lettre. Là. » Il prit le feuillet de sa
main rouge et noueuse et le posa à plat sur la table.
Billy vit qu’elle était
dactylographiée sur du papier à en-tête de Celtic Minerais.
« Madame, lut Da à haute
voix, la maison située à l’adresse indiquée ci-dessus doit être affectée à un
mineur en activité. » Celtic Minerais avait construit la plupart des
maisons d’Aberowen. Au fil des ans, certaines, comme celle où vivait la famille
Williams, avaient été vendues à leurs occupants. Mais la plupart étaient toujours
louées aux mineurs. « Conformément aux conditions prévues par votre bail,
je… » Da s’interrompit,
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