La Chute Des Géants: Le Siècle
femmes ont perdu leurs maris dans votre mine. Ne
vous sentez-vous pas responsable d’elles ? »
Morgan releva le menton, sur la
défensive. « L’enquête publique a établi que l’explosion n’était pas due à
une éventuelle négligence de la compagnie. »
Billy aurait bien voulu lui
demander comment un homme intelligent pouvait tenir des propos pareils sans
rougir.
Da répliqua : « L’enquête
a dressé une liste d’infractions longue comme le train de Paddington – absence
de protection des équipements électriques, pas d’appareils respiratoires, pas de
pompe à incendie correcte…
— Mais ces infractions n’ont
pas été la cause de l’explosion, ni de la mort des mineurs.
— Il a été impossible de prouver que ces infractions sont à l’origine de l’explosion et de ces
morts. »
Morgan remua sur sa chaise, mal à
l’aise. « Vous n’êtes pas venu ici discuter de l’enquête, je suppose.
— Je suis venu essayer de
vous faire entendre raison. Au moment même où nous parlons, cette histoire de
lettres est en train de faire le tour de la ville. » Da fit un geste en
direction de la fenêtre et Billy vit le soleil d’hiver qui se couchait derrière
la montagne. « Les hommes sont à la chorale, ils prennent un verre au pub,
ils assistent à des réunions de prière, jouent aux échecs – et ils parlent
tous de l’expulsion des veuves. Vous pouvez parier tout ce que vous voulez qu’ils
sont furieux.
— Je vous repose la question :
cherchez-vous à intimider la compagnie ? »
Billy l’aurait volontiers
étranglé, mais Da soupira. « Écoutez, Maldwyn, nous nous connaissons
depuis l’école. Soyez raisonnable. Vous savez qu’il y en a certains, au
syndicat, qui se montreront plus agressifs que moi. » Da faisait allusion
au père de Tommy Griffiths, Len, qui croyait à la révolution et espérait
toujours que le prochain conflit serait l’étincelle qui mettrait le feu aux
poudres. Il aurait bien voulu aussi occuper le poste de Da. On pouvait compter
sur lui pour proposer des mesures énergiques.
« Êtes-vous en train de me
dire que vous avez l’intention d’appeler à la grève ? demanda Morgan.
— Je suis en train de vous
dire que les hommes vont être en colère. Je ne peux pas prévoir ce qu’ils
feront. Mais je n’ai pas envie qu’il y ait des troubles, et vous non plus. Nous
parlons de huit maisons sur quoi… huit cents ? Voilà la question que je
suis venu vous poser : est-ce que ça en vaut vraiment la peine ?
— La compagnie a pris sa
décision, répondit Morgan, et Billy eut l’intuition qu’il ne l’approuvait pas.
— Demandez au conseil d’administration
de revenir dessus. En quoi cela pourrait-il nuire à la compagnie ? »
Les propos modérés de Da
agaçaient Billy. Ne ferait-il pas mieux d’élever la voix, de brandir un index
accusateur et de dénoncer la cruauté impitoyable dont la compagnie se rendait
manifestement coupable ? C’est ce que Len Griffiths aurait fait.
Morgan demeura inflexible. « Je
suis ici pour faire appliquer les décisions du conseil, pas pour les contester.
— Autrement dit, le conseil
a déjà approuvé les expulsions, insista Da.
— Je n’ai pas dit ça »,
répliqua Morgan, visiblement énervé.
Mais il l’avait laissé entendre,
songea Billy, grâce aux questions habiles de Da. Peut-être la douceur n’était-elle
pas une si mauvaise méthode, après tout.
Da changea alors de tactique. « Et
si je vous trouvais huit maisons dont les occupants sont prêts à prendre vos
nouveaux mineurs comme locataires ?
— Ces hommes ont des
familles.
— Nous pourrions trouver un
compromis, dit Da lentement et posément, si vous y mettiez un peu du vôtre.
— La compagnie doit être
libre d’administrer ses affaires comme elle l’entend.
— Quelles que soient les
conséquences pour autrui ?
— C’est notre houillère. La
compagnie a fait le relevé topographique, négocié avec le comte, creusé la mine
et acheté l’équipement nécessaire, et c’est elle qui a construit les maisons
pour loger les mineurs. Nous avons tout payé, cela nous appartient et personne
n’a à nous dire ce que nous devons en faire. »
Da remit sa casquette. « Vous
n’avez pas enfoncé le charbon dans le sol pourtant, Maldwyn, si ? Ça, c’est
Dieu qui s’en est chargé. »
3.
Da aurait voulu réserver la salle
des fêtes de la mairie pour organiser une réunion le
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