La Chute Des Géants: Le Siècle
américain à Veracruz. Sa lecture lui
arracha un cri : QUATRE DE NOS HOMMES TUÉS. STOP. VINGT BLESSÉS. STOP.
FUSILLADES AUTOUR DU CONSULAT. STOP.
Quatre hommes tués, se dit Gus,
horrifié. Quatre bons Américains, qui avaient des mères et des pères, des
épouses ou des fiancées. Ce drame relativisait un peu son chagrin. Au moins,
songea-t-il, nous sommes vivants, Caroline et moi.
Il frappa à la porte du Bureau
ovale et tendit la dépêche à Wilson. Le président la lut et blêmit.
Gus l’observait attentivement.
Que pensait-il, sachant que ces hommes étaient morts à cause de la décision qu’il
avait prise en pleine nuit ?
Cela n’aurait pas dû arriver. Les
Mexicains ne pouvaient que vouloir se débarrasser d’un gouvernement tyrannique.
Ils auraient dû accueillir les Américains en libérateurs. Que s’était-il passé ?
Bryan et Daniels se présentèrent
quelques minutes plus tard, suivis du secrétaire d’État à la Guerre, Lindley
Garrison, un homme d’ordinaire plus agressif que Wilson, et de Robert Lansing,
conseiller au secrétariat d’État. Ils se rassemblèrent dans le Bureau ovale,
dans l’attente de nouvelles informations.
Le président était plus tendu qu’une
corde de violon. Pâle, agité et fébrile, il arpentait la pièce. Quel dommage,
se dit Gus, que Wilson ne fume pas – cela aurait pu le calmer.
Aucun de nous n’ignorait les
risques, pensa-t-il, mais étrangement, la réalité est plus choquante que nous
ne le pensions.
Des détails supplémentaires leur
parvenaient au compte-gouttes et Gus remettait les dépêches à Wilson. Toutes
les nouvelles étaient mauvaises. Les troupes mexicaines avaient résisté et tiré
sur l’infanterie de marine depuis le fort où elles se trouvaient. Les soldats
étaient soutenus par la population qui avait pris les Américains pour cibles
depuis les étages des immeubles. En représailles, le navire américain Prairie, ancré au large, avait braqué ses canons de trois pouces sur la
ville et l’avait bombardée.
Le nombre de victimes augmentait :
six Américains tués, huit, douze – sans compter les blessés. Mais c’était
une lutte inégale, et les Mexicains déploraient plus de cent morts.
Le président était visiblement
déconcerté. « Nous ne voulons pas nous battre contre les Mexicains,
dit-il. Nous voulons leur rendre service, si nous le pouvons. Nous voulons être
utiles à l’humanité. »
Pour la deuxième fois de la
journée, Gus était littéralement assommé. Le président et ses conseillers n’avaient
que de bonnes intentions. Pourquoi l’affaire avait-elle aussi mal tourné ?
Était-il vraiment si difficile d’agir judicieusement en politique étrangère ?
C’est alors qu’un message arriva
du département d’État : l’ambassadeur d’Allemagne, le Comte Johann
von Bernstorff, avait reçu instruction du kaiser de rendre visite au secrétaire
d’État ; il voulait savoir si celui-ci pouvait le recevoir le lendemain
matin à neuf heures. Ses collaborateurs avaient fait savoir officieusement que
l’ambassadeur avait l’intention de protester contre l’interception del ’Ypiranga.
« Une protestation ?
s’écria Wilson. De quoi diantre parlent-ils ?»
Gus comprit immédiatement que les
Allemands avaient le droit international pour eux. « Monsieur le
président, il n’y a eu ni déclaration de guerre ni blocus, de sorte qu’à
proprement parler les Allemands ont raison.
— Comment ? »
Wilson s’adressa à Lansing. « Est-ce exact ?
— Nous allons vérifier,
évidemment, répondit le conseiller du Département d’État. Mais je suis presque
sûr que Gus ne se trompe pas. Ce que nous avons fait était contraire au droit
international.
— Ce qui veut dire ?
— Ce qui veut dire que nous
devrons présenter des excuses.
— Jamais ! » lança
Wilson, furieux.
Le gouvernement américain présenta
néanmoins ses excuses.
4.
Maud Fitzherbert devait se rendre
à l’évidence : elle était amoureuse de Walter von Ulrich. Au demeurant,
elle aurait été tout aussi surprise d’être amoureuse d’un autre. Il était bien
rare en effet qu’un homme lui plaise. Elle en avait pourtant attiré beaucoup,
surtout lors de sa première saison de débutante, mais la plupart avaient été
promptement rebutés par ses idées féministes. Certains avaient même manifesté l’intention
de la ramener sur le droit chemin – comme ce débraillé de marquis de
Lowther
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