La Chute Des Géants: Le Siècle
Le
petit groupe qui entourait Lloyd George comprenait une séduisante jeune
femme d’environ vingt-cinq ans. « Bonsoir, mademoiselle Stevenson, dit
Maud. Quel plaiSir de vous revoir ! » La secrétaire politique et
maîtresse de Lloyd George était une rebelle, et Maud éprouvait de la
sympathie pour elle. De plus, un homme appréciait toujours qu’on soit aimable
avec sa maîtresse.
Lloyd George s’adressa à son
entourage. « Ces navires allemands ont tout de même fini par livrer leurs
armes au Mexique. Ils sont allés dans un autre port, voilà tout, et ont
déchargé tranquillement. Autrement dit, dix-neuf soldats américains sont morts
pour rien. Quelle terrible humiliation pour Woodrow Wilson ! »
Maud sourit et posa la main sur
le bras de Lloyd George . « Pourriez-vous m’expliquer quelque chose,
monsieur le chancelier ?
— Si je le puis, volontiers,
ma chère », répondit-il avec indulgence. La plupart des hommes aimaient qu’on
leur demande des explications, surtout si la question était posée par une
séduisante jeune femme, avait constaté Maud.
« Pourquoi cet intérêt
insolite pour le Mexique ? demanda-t-elle.
— Le pétrole, ma chère, le
pétrole. »
Une autre personne lui adressa la
parole et il se détourna.
Maud aperçut Walter. Ils se
retrouvèrent au pied de l’escalier. Il s’inclina sur sa main gantée, et elle
dut résister à la tentation de caresser ses cheveux blonds. Son amour pour
Walter avait éveillé en elle un déSir physique en latence, un appétit
sauvage tout à la fois stimulé et contrarié par leurs baisers dérobés et leurs
étreintes furtives.
« Et cet opéra, Lady Maud ?
fit-il d’un ton formel, tandis que ses yeux noisette disaient : “ Si seulement nous étions seuls. ”
— Je suis enchantée !
Ce Don Giovanni a vraiment une voix superbe.
— J’ai trouvé que le chef
prenait un tempo un peu rapide. »
Il était la seule personne de sa
connaissance à accorder le même sérieux qu’elle à la musique. « Je ne suis
pas de cet avis, objecta-t-elle. C’est une comédie, il faut que les mélodies
aient de l’élan.
— Ce n’est pas seulement une
comédie.
— Tu as raison.
— Peut-être ralentira-t-il
au deuxième acte, quand la dimension tragique s’affirmera.
— Il paraît que vous avez
réussi une sorte de coup diplomatique au Mexique, dit-elle, changeant de sujet.
— Mon père est… » Il
chercha ses mots, ce qui ne lui était pas habituel. «… fier comme un coq,
poursuivit-il après un instant de silence.
— Pas toi ? »
Il fit la grimace. « J’ai
bien peur que le président américain ne veuille nous régler notre compte un
jour ou l’autre. »
Fitz, qui passait alors, lança :
« Bonsoir, von Ulrich, venez donc nous rejoindre dans notre loge, il nous
reste une place.
— Avec joie ! » s’écria
Walter.
Maud était ravie. Fitz ne faisait
évidemment que se montrer accueillant. Il ignorait que sa sœur était amoureuse
de Walter. Il faudrait qu’elle l’en informe rapidement. Comment le prendrait-il ?
Leurs deux pays étaient en désaccord et Fitz avait beau considérer Walter comme
un ami, de là à être enchanté de l’avoir pour beau-frère, il y avait un grand
pas.
Elle remonta l’escalier en
compagnie de Walter et ils longèrent le couloir. La dernière rangée de la loge
de Fitz n’avait que deux places et la vue était médiocre. Maud et Walter s’y
installèrent sans se concerter.
Quelques minutes plus tard, les
lumières de la salle s’éteignirent. Dans la pénombre, Maud aurait presque pu se
croire seule avec Walter. Le deuxième acte s’ouvrit sur le duo entre Don
Giovanni et Leporello. Maud aimait l’art avec lequel Mozart faisait chanter
maîtres et domestiques ensemble, révélant les relations complexes et intimes
entre classes supérieures et inférieures. Tant d’œuvres théâtrales ne se
préoccupaient que de la haute société, traitant les serviteurs comme du
mobilier – ce que beaucoup de gens auraient souhaité qu’ils soient.
Bea et la duchesse regagnèrent la
loge pendant le trio « Ah ! Taci, ingiusto core ». Les sujets de
conversation semblaient épuisés, car le public était moins bavard et écoutait
plus attentivement. Personne n’adressa la parole à Maud ni à Walter, personne
ne se tourna vers eux et Maud se demanda avec un frisson si elle ne pourrait
pas profiter de la situation. S’enhardissant, elle tendit le
Weitere Kostenlose Bücher