La colère du lac
que celui d’avaler cette soupe
qu’elle lui tendait. S’il ne se sentait pas si faible aussi. Il se serait levé
pour aller faire son besoin naturel. Mais on aurait juré qu’une vague immense
l’avait roulé pendant des heures,s’amusant à le broyer, à
l’essorer pour le rejeter comme une vieille guenille. Il n’en pouvait plus, il
allait uriner dans ce lit.
— Mademoiselle… dit-il les dents serrées.
Joséphine ne comprenait pas, elle restait là, la cuillère en suspens. Il
semblait souffrir… devait-elle envoyer chercher le docteur ?
— Mademoiselle ! gémit de nouveau le marin.
Il avait le bas-ventre en feu, une pression inimaginable qui lui donnait peine
à respirer. Avec ses yeux, il l’implora de comprendre l’urgence de la situation.
Mais elle restait là, la bouche ouverte d’incompréhension. Tout à coup, son
visage s’éclaira. Elle déposa abruptement la cuillère dans le bol, prit le verre
d’eau et le tendit à son malade. Pauvre homme, comme elle était bête, il devait
mourir de soif.
— Non, non pas eau ! s’impatienta Patrick.
Aux grands maux les grands moyens. D’un geste brusque, il repoussa les
couvertures, apparaissant en caleçon long à la jeune fille ahurie. À travers le
tissu, sans aucune pudeur, il pressa son membre tout en le pointant
énergiquement de l’index de sa main libre. Si elle ne comprenait pas maintenant,
c’est qu’en plus d’être laide, elle était idiote ! Si Patrick n’avait pas eu
besoin de toute son énergie pour retenir ce qu’il ne pouvait plus contenir, il
aurait éclaté de rire en voyant la fille devant lui se transformer en une grosse
tomate rouge. Confuse, honteuse, traversant en courant la pièce, Joséphine prit
sur la commode son pot de chambre fleuri, hésita quelques secondes avant de le
tendre au convalescent et de s’enfuir dans le corridor. Mortifiée, elle s’appuya
sur le chambranle de la porte. Quelle idiote elle faisait ! De ses deux mains,
elle se boucha les oreilles pour ne plus entendre le puissant jet d’urine qui
résonnait bruyamment dans le pot. Comment trouverait-elle le courage de
retourner dans la chambre ? Elle aurait voulu disparaître sous terre, ne plus
jamais revoir cet homme. Mais, elle n’avait pas le choix. Elle devait vider le
pot, luidonner son bouillon, le raser, le laver ? Oh non ! Elle
n’avait pas une minute songé à tout ce que son nouveau rôle comportait !
Pourquoi le curé avait-il pensé à elle pour cette besogne ? Elle manquait de
sommeil, elle se sentait toute bouleversée, elle avait envie de pleurer et lui
qui n’en finissait pas de pisser !
« Ah ! Ça fait du bien ! » se dit Patrick en fermant les yeux de contentement,
après s’être enfin soulagé.
À part une grande faiblesse, il se sentait beaucoup mieux. Les murs ne
tournaient plus autour de lui, il avait cessé de trembler comme un vieillard.
Tout à coup, il revit la réaction de cette grosse bêtasse, son visage cramoisi,
et cette fois, il laissa libre cours à son hilarité.
Il riait d’elle, à n’en pas douter, il se moquait d’elle ! La tête baissée, se
jouant nerveusement avec les ongles, telle une victime se rendant à l’échafaud,
Joséphine revint piteusement dans la chambre. Face à la détresse évidente de la
jeune fille, le rire de l’homme s’éteignit. Joséphine leva les yeux vers ce
silence inattendu. Il la regardait d’un air désolé, tenant le pot de chambre, en
précaire équilibre, sur son ventre. Le ridicule de la situation et la puérilité
de son attitude précédente lui apparurent soudain comme la chose la plus cocasse
qu’elle ait vécue. À son tour, elle éclata de rire. Un rire franc, merveilleux,
profond, généreux. Jamais Patrick O’Connor n’avait rien entendu de plus suave.
Il n’eut même pas cru possible qu’un si beau son puisse exister. Cela rappelait
la plus pure des clochettes, une sorte de roucoulement d’un oiseau d’or… une
merveille.
— Attendez, j’va vous débarrasser, bredouilla Joséphine, suffoquant de rire en
désignant le récipient, cause de ce débordement.
Patrick lui tendit le pot. Soudain elle remarqua qu’il ne cessait de la
dévisager. Un court instant, quelques secondes à peine, leurs yeux
s’accrochèrent. Le temps devint irréel. Les sons s’estompèrent. La lumière se
tamisa, un peu comme ce moment
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