La colère du lac
privilégié qui précède lesommeil
et qui nous coupe du monde entier… Étonnés, essayant de saisir l’étrangeté de ce
qui se passait, mais apeurés aussi devant ce sentiment inconnu, tous deux,
fuyant cette nouvelle dimension, se réfugièrent dans un grand rire confortable
qui ramena la paix dans la chambre.
— J’m’en va jeter ça, dit-elle en empoignant le pot de chambre. J’donne le
médicament à mon père, ajouta-t-elle en couvrant le contenant d’une vieille
guenille, pis je reviens tusuite, dit-elle tout en se dirigeant vers la porte.
Si vous pensiez vous sauver de mon bouillon, reprit-elle malicieusement en se
retournant vers son malade, vide comme vous êtes astheure, vous allez le boire
jusqu’à la dernière goutte, parole de Joséphine !
Et elle s’envola, le cœur léger, laissant derrière elle un Patrick O’Connor
médusé. Il ne pouvait être attiré par cette grosse fille ! Et pourtant… Il avait
eu la pulsion de l’embrasser… Certainement cette fièvre qui lui avait dérangé
l’esprit.
À partir de ce moment, une complicité s’installa entre eux et les jours de
convalescence devinrent des jours d’un bonheur simple, gai, un de ces bonheurs
qui, mine de rien, tisse autour de lui un cocon de bien-être tranquille duquel
on ne désire plus jamais sortir. Patrick en vint à trouver joli le contour rond
du visage de Joséphine, excitante la poitrine généreuse. Il rêvait de s’étendre
sur ce ventre en forme de coussin et de s’y enfoncer mollement. Mais surtout il
adorait son rire, aussi faisait-il tout son possible pour le déclencher, allant
même jusqu’à sciemment se tromper lorsqu’il s’exprimait en français, provoquant
ainsi d’étranges jeux de mots. Comme cet avant-midi-là, alors qu’il venait de
faire ses premiers pas dans la chambre et qu’il contemplait le
chemin boueux qui serpentait de la maison jusqu’au bas de la ville. Joséphine,
qui le soutenait par le bras, admira, avec lui, le cœur de Chicoutimi qui
s’étendait devant eux.
— On a une moyenne belle vue, vous trouvez pas ? Là-bas, c’est le port où votre
bateau a accosté, en face c’est notre belle cathédrale, un peu à côté c’est le
couvent pis l’hôpital, oui, j’sais, monsieur le curé nous a raconté votre peur.
Moé itou j’voudrais pas y aller… le rassura-t-elle avec un doux sourire.
Puis elle indiqua l’emplacement du presbytère.
— Penchez-vous un peu, à cause que les arbres y nous cachent. Vous voyez, près
de l’église, c’est là qu’on vous a retrouvé y a deux semaines.
— Moé être trop salade pour me souvenir.
— Salade ? Ah, vous voulez dire malade…
— Salade, malade, moé avoir face verte dans les deux cas.
Ah ! ce rire… Il le huma, s’en imprégna, le dégusta. Joséphine se doutait bien
que la plupart du temps il la taquinait exprès. Elle le voyait à ses yeux qui
brillaient de malice.
— Vous avez encore vos yeux malcommodes, m’sieur O’Connor… le sermonna-t-elle
gentiment.
— Malcommode ? Moé pas comprendre… Mes yeux pas mal… Les yeux de mademoiselle
Mailloux, très beaux… complimenta le convalescent en se penchant vers la jeune
fille.
— Euh… ben… Moé j’pense que vous êtes mieux de vous recoucher, lui dit-elle,
timide.
— Ah non, moé pas envie, refusa l’homme.
Et pourquoi ne pas tenter sa chance et essayer de l’embrasser… Il avait la
forte impression qu’elle y consentirait.
— Moé avoir envie de…
Et il se pencha un peu plus encore.
Joséphine insista :
— C’est pas bon d’aller trop vite… quand on a été ben malade comme vous… Y faut
pas trop en faire les premières fois.
Et elle l’entraîna précautionneusement mais fermement vers le lit. Le marin en
profita pour s’appuyer un peu plus qu’il en avait réellement besoin. Peut-être
pousserait-il l’audace jusqu’à lui frôler un sein par accident. Mmm… Oui…
À ce moment, monsieur Mailloux fit irruption dans la pièce.
— Joséphine, fit sèchement celui-ci, descends tusuite à cuisine. J’ai vu de la
vaisselle sale qui traînait. Pas question que ma maison devienne une soue à
cochon à cause de c’te charge-là. Si t’arrives pas dans ton ouvrage, j’va parler
à monsieur l’curé.
— Pas besoin, son père, répondit la fille en rougissant de honte de se faire
admonester ainsi devant leur
Weitere Kostenlose Bücher