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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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privilégié qui précède lesommeil
     et qui nous coupe du monde entier… Étonnés, essayant de saisir l’étrangeté de ce
     qui se passait, mais apeurés aussi devant ce sentiment inconnu, tous deux,
     fuyant cette nouvelle dimension, se réfugièrent dans un grand rire confortable
     qui ramena la paix dans la chambre.
    — J’m’en va jeter ça, dit-elle en empoignant le pot de chambre. J’donne le
     médicament à mon père, ajouta-t-elle en couvrant le contenant d’une vieille
     guenille, pis je reviens tusuite, dit-elle tout en se dirigeant vers la porte.
     Si vous pensiez vous sauver de mon bouillon, reprit-elle malicieusement en se
     retournant vers son malade, vide comme vous êtes astheure, vous allez le boire
     jusqu’à la dernière goutte, parole de Joséphine !
    Et elle s’envola, le cœur léger, laissant derrière elle un Patrick O’Connor
     médusé. Il ne pouvait être attiré par cette grosse fille ! Et pourtant… Il avait
     eu la pulsion de l’embrasser… Certainement cette fièvre qui lui avait dérangé
     l’esprit.

    À partir de ce moment, une complicité s’installa entre eux et les jours de
     convalescence devinrent des jours d’un bonheur simple, gai, un de ces bonheurs
     qui, mine de rien, tisse autour de lui un cocon de bien-être tranquille duquel
     on ne désire plus jamais sortir. Patrick en vint à trouver joli le contour rond
     du visage de Joséphine, excitante la poitrine généreuse. Il rêvait de s’étendre
     sur ce ventre en forme de coussin et de s’y enfoncer mollement. Mais surtout il
     adorait son rire, aussi faisait-il tout son possible pour le déclencher, allant
     même jusqu’à sciemment se tromper lorsqu’il s’exprimait en français, provoquant
     ainsi d’étranges jeux de mots. Comme cet avant-midi-là, alors qu’il venait de
     faire ses premiers pas dans la chambre et qu’il contemplait le
     chemin boueux qui serpentait de la maison jusqu’au bas de la ville. Joséphine,
     qui le soutenait par le bras, admira, avec lui, le cœur de Chicoutimi qui
     s’étendait devant eux.
    — On a une moyenne belle vue, vous trouvez pas ? Là-bas, c’est le port où votre
     bateau a accosté, en face c’est notre belle cathédrale, un peu à côté c’est le
     couvent pis l’hôpital, oui, j’sais, monsieur le curé nous a raconté votre peur.
     Moé itou j’voudrais pas y aller… le rassura-t-elle avec un doux sourire.
    Puis elle indiqua l’emplacement du presbytère.
    — Penchez-vous un peu, à cause que les arbres y nous cachent. Vous voyez, près
     de l’église, c’est là qu’on vous a retrouvé y a deux semaines.
    — Moé être trop salade pour me souvenir.
    — Salade ? Ah, vous voulez dire malade…
    — Salade, malade, moé avoir face verte dans les deux cas.
    Ah ! ce rire… Il le huma, s’en imprégna, le dégusta. Joséphine se doutait bien
     que la plupart du temps il la taquinait exprès. Elle le voyait à ses yeux qui
     brillaient de malice.
    — Vous avez encore vos yeux malcommodes, m’sieur O’Connor… le sermonna-t-elle
     gentiment.
    — Malcommode ? Moé pas comprendre… Mes yeux pas mal… Les yeux de mademoiselle
     Mailloux, très beaux… complimenta le convalescent en se penchant vers la jeune
     fille.
    — Euh… ben… Moé j’pense que vous êtes mieux de vous recoucher, lui dit-elle,
     timide.
    — Ah non, moé pas envie, refusa l’homme.
    Et pourquoi ne pas tenter sa chance et essayer de l’embrasser… Il avait la
     forte impression qu’elle y consentirait.
    — Moé avoir envie de…
    Et il se pencha un peu plus encore.
    Joséphine insista :
    — C’est pas bon d’aller trop vite… quand on a été ben malade comme vous… Y faut
     pas trop en faire les premières fois.
    Et elle l’entraîna précautionneusement mais fermement vers le lit. Le marin en
     profita pour s’appuyer un peu plus qu’il en avait réellement besoin. Peut-être
     pousserait-il l’audace jusqu’à lui frôler un sein par accident. Mmm… Oui…
    À ce moment, monsieur Mailloux fit irruption dans la pièce.
    — Joséphine, fit sèchement celui-ci, descends tusuite à cuisine. J’ai vu de la
     vaisselle sale qui traînait. Pas question que ma maison devienne une soue à
     cochon à cause de c’te charge-là. Si t’arrives pas dans ton ouvrage, j’va parler
     à monsieur l’curé.
    — Pas besoin, son père, répondit la fille en rougissant de honte de se faire
     admonester ainsi devant leur

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