Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
Vom Netzwerk:
invité. J’avais juste pensé la faire en même temps
     que celle du dîner, ajouta-t-elle avec un soubresaut de rébellion.
    — Jo-sé-phine ! répéta le père d’un ton incisif.
    Enfin, sa fille se décida à obéir sans rouspéter davantage et sortit de la
     chambre, un air coupable ravageant ses traits. Bon, il avait encore un peu
     d’autorité sur elle. Il avait trop laissé les choses aller aussi. Ah, curé de
     malheur qui se mêlait de tout et dérangeait leur vie ! Ce matelot d’eau douce
     était une malédiction. À ce qu’il avait pu voir et deviner surtout, ce satané
     bougre semblait récupérer pas mal vite, oui, il fallait s’en débarrasser
     rapidement. Si cet étranger pensait mettre la main sur sa Joséphine, il allait
     frapper le nœud de sa vie. Sa fille, c’était son bâton de vieillesse, et pas
     question qu’il s’en passe ! Qui prendrait soin de lui, lui ferait à manger, qui
     s’occuperait du ménage, du lavage ? Il serait obligé d’aller vivre chez une de
     ses cadettes et d’endurer ses petits-enfants qui crieraient et brailleraient à
     longueur de journée dans ses oreilles, non merci ! Lentement, il s’approcha du
     litdu malade. Levant sa canne, qu’il tenait le plus fermement
     possible, il menaça sourdement le marin.
    — Toé, t’es mieux de pas toucher à ma fille, parce que j’te jure su’a tête de
     ma défunte que chus encore capable de t’faire avaler tes dents !
    Sans un mot de plus, le vieillard s’en retourna rejoindre sa fille. Il la
     trouva occupée à pomper l’eau et s’apprêtant à remplir la bouilloire. Elle
     faisait comme s’il n’était pas là. Elle ne lui adressa pas la parole. Par tous
     les saints, sa fille le boudait ! Était-il trop tard ? Est-ce que sa Joséphine
     était déjà sous l’emprise de ce mâle couché en haut dans sa propre maison ?
     Doucement, il voûta son dos, encore plus que d’habitude, et se laissa choir
     péniblement sur la chaise du patriarche trônant au bout de la longue table de
     bois. Il fallait agir avec sagesse et prudence. Mais il savait comment la
     prendre, sa Joséphine, oui, il n’avait qu’à resserrer son emprise…
    Une bonne quinte de toux pour commencer… Oui, voilà, elle lui jetait un coup
     d’œil en coin tandis qu’elle déposait le canard de fonte sur le poêle à bois.
     Tousser encore, un peu plus fort, à s’étouffer… Elle remplit un verre d’eau,
     même pas besoin de le lui demander… Elle le déposa devant lui… La retenir par le
     bras, tousser de plus belle en refermant la poigne. Le style du grand pêcheur !
     Lancer sa ligne, attirer le poisson…
    — Assis-toé à côté de moé, ma fille.
    Ne pas lâcher le bras… Respirer difficilement, parler tout doucement… Agacer sa
     proie…
    — Ton vieux père est rien qu’un embarras, hein, ma fille ?
    Elle ne répondit pas.
    — Mais t’auras pus ben ben longtemps à l’endurer…
    — Ben voyons, vous, parlez pas de même, s’indigna Joséphine en levant le regard
     sur son paternel.
    Et voilà le poisson qui mordait !
    — Non, non, ma fille, j’sais que chus en train de m’éteindre à
     p’tit feu.
    Ne restait qu’à donner le coup fatal sur la ligne… un coup sec et précis qui
     permettait une prise infaillible.
    — Ce matin, j’ai craché du sang.
    — Oh, non ! s’écria Joséphine. Vous auriez dû m’avertir ! Y faut dire au
     docteur de venir tusuite !
    — Allons, ma grande fille, calme-toé, pis écoute ton vieux père. Le docteur, y
     pourra pas rien faire. Y faut laisser la vie suivre son chemin, pis la mienne,
     ben, elle arrive au boutte.
    Il n’avait jamais craché de sang de sa vie, à part la fois où il s’était battu
     en revenant d’une veillée bien alcoolisée. Mais c’était il y a longtemps, quand
     il n’était encore qu’un jeunot. Pour garder sa fille, il était prêt à bien des
     mensonges. De toute façon, il était passé maître dans l’art de maquiller la
     vérité. On ne mène pas un magasin pendant des années sans mentir, c’est
     impossible ! Le génie résidait dans le fait de paraître l’homme le plus franc du
     monde ! Que personne ne se méprenne, il n’avait pas volé ses clients, jamais !
     Les comptes avaient toujours été au sou près ! Non, cela se révélait utile dans
     des petits détails, comme faire croire que la belle étoffe de soie avait été
     payée un prix de fou alors qu’il l’avait

Weitere Kostenlose Bücher