La colère du lac
satisfaction éclaira le visage du curé. Il tapota l’épaule
du vaincu en lui disant :
— Là, vous parlez, mon brave, ça vous sera rendu au centuple. Je dois vous
quitter astheure, je repasserai demain comme promis.
— J’vous raccompagne, monsieur le curé.
Ainsi, il était hébergé chez une famille nommée Mailloux, drôle de nom qui rime
avec caillou, se dit Patrick O’Connor tandis que le bruit des pas s’estompait au
rythme des marches que les hommes descendaient. Une insoutenable soif le
tenaillait et il aurait voulu qu’on lui apporte à boire. Peut-être que c’eut été
cette Joséphine censée s’occuper de lui, qui lui aurait tendu un verre d’eau, la
main passée derrière sa tête… le buste penché sur lui… Joséphine… une jeune
fille pure, vierge probablement, de beaux grands cheveux blonds, une taille
fine, des seins ronds et fermes… Oh, oui il l’imaginait, cette Joséphine…
Peut-être qu’il n’était pas si malade après tout, se dit-il en se rendormant, un
rêve érotique pointant sous les draps.
— Monsieur, monsieur, il faut vous réveiller, monsieur,
monsieur…
Monsieur… monsieur… quels étaient ces mots qui le tiraient de son
sommeil ?
— Ah, y se réveille enfin…
Patrick O’Connor ouvrit péniblement les paupières qu’il avait tenues résolument
closes pendant presque vingt longues heures. Allons, où était-il ? Ah oui ! le
bateau, la fièvre, oui, le curé, il était là debout devant le lit. À ses côtés,
un vieil homme, qui correspondait parfaitement à l’image qu’il s’était forgée, à
n’en pas douter c’était monsieur Mailloux, son hôte, mais la jeune fille en
retrait, près de la porte, oh, là, là, il s’était trompé du tout au tout. Elle
était rougeaude, boulotte et loin d’être blonde, il n’aurait pu imaginer pire !
Finis les beaux rêves ! À moins que ce ne soit pas la Joséphine en question… Ah,
pourvu que ce ne soit pas elle !
— Alors, mon brave, ça va mieux ? demanda le curé d’un air satisfait.
— Oui, merci, répondit Patrick, gêné.
Ils étaient là, tous les trois à le regarder, des inconnus, des étrangers, et
lui, vulnérable. Tout à coup, il en eut assez de ce pays, de ces gens, il eut
une envie folle de se retrouver chez lui avec sa famille.
— Vous avez longtemps dormi, reprit le curé. Je vous présente monsieur
Mailloux, qui a eu l’obligeance de vous accueillir dans sa maison, et voici sa
fille Joséphine, qui vous traitera aux petits oignons, j’en suis certain.
Et voilà, plus aucun doute ! « Oh, là, là, souhaitons au moins qu’elle sache
cuisiner ! » se dit le marin tout en souriant poliment à la jeune femme, qui
baissa les yeux en rougissant.
— Allons, ma fille, ne sois pas timide, enchaîna le curé. Va chercher un peu de
ce bouillon que tu as préparé pour notre malade. Il doit s’alimenter, ordre du
docteur, ajouta-t-il en retournant son attention vers Patrick, tandis que la
jeune fille obéissait et partait à lacuisine. Maintenant que
nous sommes entre hommes, tous les trois, nous allons régler certains points.
Vous savez que la situation est délicate. Joséphine est une jeune fille comme il
faut et je ne veux pas de commérages dans ma paroisse. Je me suis porté garant
de son honneur, je me fais bien comprendre, n’est-ce pas mon brave ?
Prenant son air le plus sévère, le curé attendit la réponse.
— Oui, mon père, moé être sans reproche, assura le marin tout en pensant : « Si
vous craignez pour la vertu de cette baleine, pas de danger ! Il faudrait être
mal pris pour songer à cette possibilité. »
— Vous parlez drôle, intervint pour la première fois monsieur Mailloux. D’où
c’est que vous venez ?
Patrick le sentit méfiant. Il lui fit son plus honnête sourire et lui
répondit :
— Irlande. Beau pays, mais très loin. Moé aimer aventure, moé travailler sur
bateau.
Tout à coup, il se rappela l’existence de son sac. Où était-il ? Toutes ses
précieuses affaires ?
— Mon sac, où être mon sac ? demanda-t-il anxieusement.
— Un sac ? répéta le curé. Oh non, mon brave, on vous a retrouvé avec seulement
votre linge sur le dos. Allons, ajouta-t-il devant la mine déconfite du
convalescent, bénissez le Seigneur d’être encore en vie et d’avoir été recueilli
par de si braves gens. On doit se
Weitere Kostenlose Bücher