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La colère du lac

La colère du lac

Titel: La colère du lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Tremblay
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de bonnes raisons qu’il lui donnait de le faire. Au début,
     il l’avait poussée à la limite, lui faisant des grimaces, harcelant les autres
     orphelins, s’obstinant à lui désobéir. Un midi, il lui avait même craché au
     visage ! Elle rétorquait simplement :
    — C’est pas ben de faire ça, chus certaine que t’es désolé pis que tu
     recommenceras pus, hein mon p’tit poussin ? T’es un gentil garçon, toé… Pis
     Joséphine t’aime beaucoup, beaucoup !
    Cette dernière phrase, elle la lui répétait sans cesse, sans jamais essayer de
     le prendre dans ses bras… Et tous les soirs, lorsque enfin elle pouvait se
     reposer les jambes, enflées un peu à cette heure-là, dans la chaise berçante,
     elle invitait le petit François à venir la retrouver.
    — Tu viens t’faire bercer à soir, mon p’tit poussin ? Non ? Alors p’t-être ben
     demain…
    Et tous les jours, elle réitérait sa demande, sans jamais
     insister. Elle attendait qu’il vienne de lui-même.
    — Est-ce que tu viens t’asseoir sur moé aujourd’hui, François ? Non, alors
     p’t-être ben demain.
    Et une bonne fois, il y avait eu un demain. Joséphine venait encore une fois de
     poser son éternelle question et s’attendait à l’habituelle indifférence en
     retour quand soudain, comme s’il avait fait cela toute sa vie, François s’en
     était venu d’un pas décidé et, tel un conquérant, s’était installé carrément sur
     ses genoux, la tête haute, défiant quiconque de venir le détrôner. Elle avait
     réussi ! Lentement, pour ne pas l’effaroucher, comme si c’était la chose la plus
     naturelle au monde, quand au fond d’elle-même, elle criait au miracle, elle
     avait passé tendrement les bras autour de l’enfant pour le caler confortablement
     contre elle. Quel effort elle avait dû déployer pour ne pas se mettre à
     l’embrasser tout en lui chuchotant des mots d’amour ! Ce soir-là, elle avait
     instauré l’heure du conte. C’était tout ce qui lui était venu à l’esprit afin de
     retenir son fils le plus longtemps possible sur elle et ainsi ne pas négliger
     les autres enfants dont elle avait la charge. Elle ne pouvait le bercer
     tranquillement, en lui fredonnant des berceuses et rattraper ainsi le temps
     perdu. Les autres enfants auraient été jaloux et se seraient sentis délaissés.
     En plus, les sœurs n’appréciaient pas beaucoup ces moments de tendresse. Pour
     elles, c’était une perte de temps. Enfin, jusqu’ici les religieuses l’avaient
     laissée faire. Il faut dire que le silence qui régnait lors de son activité
     était accueilli avec soulagement par celles-ci.
    — Qui veut que j’raconte une belle histoire ? avait-elle offert
     joyeusement.
    Un ou deux enfants, elle ne se souvenait plus desquels, s’étaient
     approchés.
    — Il était une fois… avait-elle commencé en se raclant la gorge.
    Elle avait cherché les mots dans sa tête, dans sa mémoire,
     essayant de retracer des bribes d’histoires entendues ici et là, puis ceux-ci,
     petit à petit, avaient coulé doucement, s’enchaînant, se collant les uns aux
     autres en une histoire charmante et palpitante où des canots de la
     chasse-galerie survolaient d’immenses châteaux dans lesquels de belles
     princesses aimaient un peu trop danser… Elle avait découvert qu’elle avait un
     réel talent de conteuse. Elle captivait les enfants, les ravissait par un
     original mélange de contes de fées, dont une maîtresse d’école lui avait déjà
     montré les images dans un grand livre précieux hérité des vieux pays, et de
     légendes indiennes racontées par sa grand-mère. François adorait ces instants
     privilégiés. Il ne vivait plus que pour l’heure où enfin sa Fifine, comme il
     l’appelait désormais, se décidait à arrêter sa besogne pour s’asseoir dans la
     chaise à bascule afin de raconter une histoire. Il avait toujours gardé le
     privilège d’être le seul à s’y faire bercer, et profitait pleinement de ce droit
     acquis, se pelotonnant comme un chaton dans un couffin.
    Si les religieuses avaient pris la peine de s’intéresser, d’un peu plus près, à
     leurs pensionnaires, elles auraient été stupéfaites de voir le changement
     survenu chez le jeune garçon. Finies les fameuses colères survenant à la moindre
     frustration, fini le vandalisme sur les murs, les bouderies pendant des heures.
     Oh, il survenait encore de petits

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