La colère du lac
de son fils…
Elle était loin de se douter que ce serait lui qui refuserait tout contact.
Elle revoyait encore son air buté, renfrogné, et le regard mauvais qu’il lui
avait lancé… C’était sa première journée de travail, une des religieuses, elle
ne se souvenait même plus laquelle, lui faisait visiter les installations et lui
expliquait les divers modes de fonctionnement ainsi que les règlements.
Joséphine la suivait silencieusement, les yeux grands ouverts, le cœur battant,
étudiant chaque visage enfantin, éliminant ceux manifestement trop jeunes ou
trop vieux, à la recherche d’une petite tête rousse. P’t-être lui ?… Non, la
couleur des cheveux… Ou lui ? Il avait son nez… Heureusement, la sœur n’avait
rien remarqué de son trouble. C’était un véritable moulin à paroles et elle
inondait Joséphine de détails et de recommandations. La nouvelle employée
essayait de se concentrer sur ce que la religieuse lui disait :
— Ah, je dois vous dire, mademoiselle Mailloux, qu’on est ben contentes que
notre mère supérieure ait décidé de vous engager. C’est pas qu’on n’aime pas
nous occuper de tous ces pauvres orphelins, vraiment, j’veux pas me plaindre là,
mais y a tellement de travail ! C’est un réel soulagement que de vous savoir
ici… Mais, si vous voulez pas vous faire manger la laine sur le dos, ben, suivez
mon conseil pis ayezla poigne ferme… Sinon… D’ailleurs, je vous
mets en garde, surtout à propos de cet enfant-là. Celui-là, assis dans le coin
là-bas, le poil de carotte… C’est une mauvaise tête ! Rien à faire avec… C’est
le mouton noir. Que voulez-vous, il y en a toujours un, même dans les meilleures
familles. Méfiez-vous de lui, y fait rien que des mauvais coups…
— Y semble pourtant ben tranquille… fit remarquer Joséphine, le cœur en chamade
à la vue du petit garçon aux cheveux roux.
— « Méfiez-vous de l’eau qui dort… »
— Oui, oui ben sûr, mais quand même…
— Si vous saviez tout ce qu’il nous a fait subir ! C’est une pomme pourrie dans
le panier. Tenez-vous en loin, c’est mieux pour vous.
— Allons, ma sœur, dit Joséphine, tremblante, vous êtes ben dure.
— Oh oui, je sais, mais son cas est spécial… Ce François, eh ben, on l’a trouvé
sur le pas de notre porte… Y avait à peine quelques heures… Y avait même pas été
lavé… imaginez ! Allez donc savoir d’où cet enfant peut ben venir ! Certainement
pas d’une bonne terre, n’est-ce pas ? Pis, regardez-le ! Y passe ses journées à
donner des coups de pied dans le vide… ou à tout ce qui bouge d’ailleurs. Y a
pas un autre enfant qui ose l’approcher pis pourtant, y vient d’avoir trois ans
au mois d’avril, imaginez. En plus, il mord ! Y a déjà mordu sœur
Joseph-de-L’Eucharistie jusqu’au sang… D’ailleurs, reprit la volubile religieuse
avec le ton d’une conspiratrice, entre vous pis moi… eh ben… hésita-t-elle, eh
ben moi, j’ai pour idée que c’est le diable en personne qui est en arrière de
tout ça, souffla-t-elle d’une traite en se signant précipitamment. Enfin, vous
verrez ben vous-même, conclut-elle, en se désintéressant subitement du
diabolique enfant pour reporter son attention sur la jeune fille. Bon,
mademoiselle Mailloux je crois que… Mais vous avez l’air toute bouleversée !
C’est à cause de ce que je vous ai dit ? Ah moi pis ma grande trappe aussi !
Notre bonnemère me le reproche souvent. Allez, vous en faites
pas. Occupez-vous-en pas pis tout va ben aller. Les autres enfants sont ben
gentils, pis eux, nous connaissons tous, au moins, leurs origines… dit la nonne
en plissant le nez de mépris en direction de l’enfant détesté. Tenez ! Ces deux
petits jumeaux, reprit-elle. Eh ben, leur mère est morte en laissant quatorze
enfants… Imaginez… Les plus vieux ont été recueillis par la parenté, mais les
petits derniers nous ont été confiés. Nous les destinons à la vocation, soyez
très vigilante, aucun retard à la chapelle, n’est-ce pas… Notre mère supérieure
a le supporterait pas ! En plus, y est ben important qu’ils gardent le silence
au réfectoire. Bon, je pense que j’ai rien oublié… Si vous avez pas de
questions, je m’en va vous laisser… Ah, j’ai déjà pris du retard dans mon
horaire… oh, là… Que je suis bavarde,
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