La colère du lac
l’idée
mais en parlant du docteur, j’ai allumé. Imaginez-vous donc que le conseil a
aussi adopté un règlement pour que le vaccin soit obligatoire pour tout le
monde. Si Ti-Georges trouve pas ça réjouissant, c’est qu’y a peur de la
piqûre !
— C’est vrai ça, Ti-Georges, que t’as peur d’une p’tite aiguille de douze
pouces qui te rentre dans la peau des fesses, ben tranquillement, pis qui te
fait mal, tellement mal que tu peux pus t’asseoir de la semaine ? l’agaça
Ernest.
— Sans compter que tu pourras pus honorer ta Marguerite ! surenchérit
François-Xavier.
— Bateau, êtes-vous sérieux ? demanda Ti-Georges, inquiet.
— Ben non ! répondit Ernest, c’est une affaire de rien, se faire vacciner. Y a
juste les enfants pis les créatures qui peuvent se mettre à pleurer, mais pas un
grand garçon comme toé.
— Vous saurez que j’ai pas peur pis en plus, ç’a aucun rapport avec ce que
Nazaire m’a dit. C’est quelque chose de ben plus grave.
— Tu commences à m’inquiéter mon garçon, parle ! ordonna son père.
— Les travaux préparatoires sont commencés, annonça Ti-Georges d’un air
lugubre.
— Les quoi ? interrogèrent les trois hommes.
— Vous savez ben, les travaux pour le gros barrage, y sont
commencés, répéta Georges.
— Baptême, fallait s’y attendre un jour, depuis le temps qu’ils en rêvent, dit
Ernest.
— Ça va donner de l’ouvrage à ben du monde. C’est une bonne chose, affirma
Alphonse.
— Oui, mais s’ils montent trop le niveau du lac, qui c’est qui en aura pus de
travail, son père ? fit remarquer Ti-Georges en s’enflammant. Ça va être nous
autres parce que notre ferme, vous pourrez l’oublier sous une tonne d’eau. À
moins que ça vous tente de faire l’élevage des truites !
— Arrête de faire ton fin finaud, tu connais rien dans le ventre du bedeau, le
rabroua son père.
— J’sais de quoi j’parle ! se défendit Ti-Georges, insulté.
— On est plein de rivières, reprit Alphonse, c’est pas la première fois qu’on
fait des barrages.
— Mais là, c’est beaucoup plus sérieux, son père ! Y veulent faire de
l’électricité en se servant de notre lac comme réservoir !
— Ti-Georges a raison, m’sieur Gagné. Ils construisent une centrale
hydroélectrique. Mais y ont promis que ça affecterait pas nos terres.
— Ben, baptême, y sont pas fous ! Y savent l’importance de l’agriculture, dit
Ernest. On a les plus belles terres par icitte ! On est le grenier du Québec,
les grands de la politique l’ont assez répété ! À part de ça, si jamais y
dépassaient les bornes, on les laisserait pas faire, hein Alphonse ? Tu te
rappelles, avant la guerre, nos fils étaient un peu jeunes pour se rendre compte
du grabuge qui s’était passé, mais y avait eu toute une histoire à propos d’un
barrage.
Devant l’ignorance évidente des deux jeunes hommes, Ernest reprit et
expliqua :
— Y l’avaient construit pour avoir assez de courant pour faire
glisser les billots de bois jusqu’au moulin à papier. Ç’avait inondé une bonne
partie des terres de la paroisse voisine. On a protesté, nous, pis surtout
Onésime Tremblay, un cultivateur de Saint-Jérôme, pis y l’ont défait leur
baptême de barrage ! On a gagné sur toute la ligne !
— Y f’ront pas la même erreur deux fois, décréta Alphonse en approuvant son
voisin.
— Vous avez p’t-être raison… dit Ti-Georges. J’ai entendu parler du fameux
Onésime Tremblay, y est encore prêt à monter au front, y a apparence qu’y ferait
signer une pétition contre le barrage.
— Ah ben, si Onésime s’en occupe, y a pas de danger. C’est tout un homme,
confia Ernest, mais on va rester vigilants.
— Ti-Georges s’est encore fait des peurs pour rien, tu viendras me l’dire, fit
Alphonse. Bon, ben moé, j’va faire mon sauvage, j’m’en va m’coucher. Bonsoir la
compagnie !
— Bonsoir Alphonse, pis nous autres aussi on va faire un boutte, hein,
François-Xavier ?
— Ouais, à la revoyure, bonne nuit Ti-Georges.
Dans la chambre d’amis, en haut, où Léonie et sa filleule partageaient le même
lit, faute de place, Julianna entendit partir les Rousseau. Elle soupira… elle
n’avait eu de cesse d’épier la voix grave de François-Xavier. Elle aimait
l’entendre parler, comme elle aimait
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