La colère du lac
chaudron, j’m’en va te
raconter ça. Un beau dimanche, chus sortie de l’église avec ma mère pis mon
père, pis Ti-Georges y était là, sur les marches, à m’attendre. J’avais seize
ans pis lui, dix-huit. Ça faisaitplusieurs messes qu’y m’avait
remarquée pis moé aussi. Ton frère pis ses grands yeux bleus pis ses cheveux
frisés, ah j’te jure que j’étais pas la seule jeune fille à avoir le cœur qui
battait pour lui !
— Tiens, prends ce chaudron, c’est le dernier à laver.
— Oh, la vaisselle c’est toujours à recommencer ! se plaignit Marguerite. En
tout cas, y s’est présenté poliment à mes parents, ton père était là lui aussi
qui se portait garant de la bonne volonté de son fils. Ti-Georges a demandé à
mon paternel s’y pouvait venir veiller chez nous, si j’étais d’accord comme de
raison. J’ai dit oui, on s’est fréquentés pis un an après, chus ressortie de
l’église, mais mariée c’te fois-là !
— Ç’a été aussi facile que ça ?
Julianna n’en revenait pas.
— Mais oui, quand on est ben assortis, on s’marie ! J’en connais un couple qui
irait ben ensemble aussi… Toé pis le fils Rousseau.
Julianna baissa la tête, elle n’était pas habituée à partager des confidences
entre filles.
— Il me plaît vraiment beaucoup, Marguerite, mais il se déclare jamais.
— J’te connais pas depuis longtemps, Julianna, mais tu m’sembles être une fille
qui a l’don de s’compliquer la vie, j’ai jamais vu ça. Tu t’en fais trop, laisse
venir les choses.
— Mais on s’en retourne bientôt à Montréal !
— Ti-Georges m’a dit que François-Xavier, y allait se déclarer dans pas grand
temps, avoua Marguerite.
— C’est vrai ? s’étonna Julianna.
— Tu penses-tu qu’y va te laisser repartir sans rien dire ? Tu vas voir, mon
p’tit doigt me dit que ce serait p’t-être ben pour aujourd’hui le grand jour à
part de ça. Oh, matante Léonie, vous voilà ! J’avais justement affaire à
vous.
— Que c’est que tu veux, ma belle noiraude ? demanda Léonie en
entrant dans la cuisine.
— Les hommes travaillent au champ nord aujourd’hui. Y réparent la clôture du
taureau. Y fait tellement beau cet après-midi, j’va en profiter pour laver les
draps pis les couvertes.
— On va t’aider, ma belle fille, s’empressa de dire Léonie.
— Ben justement, j’aimerais mieux que vous alliez porter le dîner aux hommes à
ma place, si ça vous dérange pas. Mes p’tits gars sont disparus à matin pis j’ai
pas le temps d’y aller. Tout est prêt dans le panier su’a table.
— Ça va me faire plaisir, Marguerite, si c’est ça que tu veux. Julianna pourra
t’aider au lavage.
— Mais non, j’ai l’habitude de mes journées. J’aimerais mieux que vous y alliez
toutes les deux.
— Ça te tente-tu de venir, Julianna ? s’informa Léonie, en se dirigeant vers
l’extérieur, le panier sous le bras.
— C’est ben certain qu’a y va, répondit Marguerite en poussant sa jeune
belle-sœur vers la porte tout en lui faisant un clin d’œil complice.
— Bonne chance Julianna ! lui chuchota-t-elle à l’oreille avant d’ajouter, haut
et fort : Bonne route toutes les deux pis perdez-vous pas en chemin !
Julianna et sa marraine marchaient côte à côte, tranquillement. Qu’il faisait
beau ! On n’avait pas eu de pluie depuis des jours ! En chemin, elles
remarquèrent un gros buisson de framboises sauvages. Elles se régalèrent l’une
et l’autre, se tachant les doigts qu’elles léchaient comme des fillettes. Elles
se promirent de revenir avec une chaudière faire une belle ramasse. Léonie
savait où se trouvait le champ en question etelles ne furent
pas longues à apercevoir deux silhouettes d’hommes. Julianna plissa les yeux
pour essayer de reconnaître celle de François-Xavier, mais aucune n’y
correspondait. L’une était trop petite, certainement monsieur Rousseau, et
l’autre, trapue, était sans aucun doute Ti-Georges.
— Ah baptême, la belle visite que voilà ! déclara Ernest en voyant apparaître
les deux arrivantes.
— On vous apporte quelque chose de bon que ta femme a préparé, Ti-Georges, dit
Léonie. J’espère que tu sais que c’est une vraie perle rare, ta
Marguerite.
— Craignez pas matante, j’lui dis tous les jours !
— C’est à voir, ça, douta
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