La colère du lac
Julianna. Bonjour parrain. Euh… votre fils est pas
là ?
— Y est allé chercher une autre cruche d’eau à la maison, on avait trop soif.
Mais y devrait pus tarder astheure, répondit-il, content de voir que la jeune
Julianna se préoccupait de son garçon.
« Ça augure ben » se dit-il. Lui, son fils et Ti-Georges avaient discuté
longuement hier soir et François-Xavier avait annoncé son intention de courtiser
la belle Julianna. Ernest sourit en regardant la jeune fille visiblement déçue
par l’absence de son fils. Son François-Xavier avait trouvé chaussure à son
pied, c’était évident. Son attention se tourna vers Léonie. Ernest la trouvait
si belle ! Toute la nuit, il avait rêvé d’elle. Au petit matin, sa décision
était prise. Lui aussi déclarerait son amour.
— J’en reviens pas comme y fait beau ! fit remarquer l’élue de son cœur plus
pour meubler le silence que par intérêt.
Léonie ressentait pleinement l’effet qu’elle faisait à monsieur Rousseau.
Inconsciemment, elle avait peut-être même répondu à ses regards appuyés, car
elle n’était pas insensible au charme d’Ernest, loin de là !
— L’été passe trop vite… continua-t-elle.
— Hum, du pain pis des cretons ! constata Ti-Georges, content, en découvrant le
pique-nique.
— Ti-Georges, sais-tu que j’ai pas tenu ma promesse pis que j’t’ai pas encore
fait de crêpes ? se rappela Léonie. J’va délayer la pâte pour dimanche pis pour
me faire pardonner, tu vas les manger avec de la confiture de framboises dessus,
lui promit fièrement sa tante.
— Hum, hum, fit Ernest en se raclant la gorge. Est-ce que par hasard, vous
auriez pas passé à côté de ma talle de framboises ? Faudra que vous m’demandiez
la permission avant d’en cueillir, les avertit Ernest en faisant mine d’être
sérieux.
— Moé, j’m’en va manger à l’ombre, décréta Ti-Georges avant de s’éloigner plus
loin vers un immense orme qui veillait, seul, sur le petit troupeau de
vaches.
— Pis moé, si ça vous dérange pas matante, je vais aller me promener un peu sur
le bord du lac, dit Julianna tellement désappointée qu’elle avait envie de se
retrouver seule un peu.
— Reviens dans une demi-heure à peu près, on s’en retournera aider
Marguerite.
Elle reporta son attention sur l’homme.
— Comme ça, y faut demander la permission ! Tant qu’a y être, y faudra p’t-être
les payer en plus ? le taquina Léonie.
Elle s’était assise dans l’herbe, regardant sa filleule se diriger vers le lac.
Ernest se laissa tomber près de la femme. Que cette créature avait de beaux yeux
verts. Dans le soleil, ils prenaient une teinte époustouflante. Seul avec
Léonie, Ernest se dit que c’était l’occasion ou jamais !
Julianna marchait le long de la grève. Maussade, elle décida d’enlever son
chapeau et de s’offrir, tête nue, au soleil. Et pourquoi ne pas se tremper un
peu les pieds dans l’eau. Elle ôta ses chaussures et ses bas qu’elle déposa sur
son chapeau pour qu’il ne s’envole pas au vent et doucement savoura le plaisir
d’enfoncer ses orteils dans le sable de la plage. Subitement, une vaguelette
recouvrit ses pieds, la faisant reculer avec un petit cri de plaisir. Elle
décida de s’amuser à laisser ses empreintes dans le sable mouillé mais, se
rendant compte qu’elle n’avait vraiment pas le cœur à folâtrer, elle délaissa
son jeu pour se laisser choir sur la grève, les genoux repliés sous le menton, à
ne plus rien faire d’autre que de perdre son regard sur l’horizon et soupirer.
C’est alors qu’il y eut une ombre qui se projeta sur elle. La silhouette tant
recherchée auparavant, celle grande et mince qu’elle avait tant espéré voir,
était là, se penchant sur elle, la recouvrant, la dominant.
Lentement elle se retourna, la main en visière pour se protéger de
l’aveuglement du soleil. Elle discerna les yeux gris de François-Xavier. Debout,
immobile, il ne disait rien. Tout à coup, se rendant compte de ses jambes à
moitiés découvertes, elle se releva prestement, secouant le sable de sa robe et
se dirigea vers ses affaires pour se rechausser. Mais du tas de vêtements il ne
restait que son chapeau et ses bas. Nulle trace de ses souliers ! Pourtant, elle
était certaine de les avoir laissés ensemble. Elle regarda tout autour, essayant
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