La colère du lac
qu’il la regarde avec autant de désir dans
les yeux. Quelle merveilleuse soirée ! Elle n’avait peut-être pas parlé
beaucoup, mais tout le monde avait respecté son silence. Même son frère ne
l’avait pas trop agacée, probablement à la demande de sa marraine. Ce n’était
pas qu’elle s’était ennuyée, loin de là ! Mais elle avait eu plus envie de
regarder et d’écouter, de se gorger des rires de son frère et de son père.
C’était comme si elle ne pourrait jamais se rassasier d’être avec eux, et la
présence de François-Xavier la rendait à fleur de peau, consciente dumoindre détail et en même temps isolée dans un autre monde.
Elle revoyait dans sa tête chaque regard qu’ils avaient échangé, chaque sourire
qu’elle lui avait offert. Elle devinait chaque mot qu’ils ne s’étaient pas dits.
Comment faire pour le revoir, comment faire ?
— Julianna Gagné, arrête de gigoter pis laisse-moé dormir pour l’amour du saint
ciel ! lui intima sa marraine.
Julianna s’était creusé la cervelle pour rien. On était rendu fin juillet et
presque pas un jour ne s’était écoulé sans qu’elle ne revoie le beau
François-Xavier. En sa qualité de parrain, monsieur Rousseau, mais aussi son
fils, passait souvent à la maison pour les saluer. De plus, à cause de la
maladie d’Alphonse et vu l’amitié qui liait les deux familles, les voisins
s’entraidaient quotidiennement pour le roulement de leurs fermes respectives. Un
mois avait donc passé pendant lequel Julianna avait apprivoisé la Pointe et sa
vie campagnarde. Passer ses grandes journées dehors, travailler fort à
différents travaux était nouveau pour la jeune fille, mais elle appréciait
chaque moment de ses vacances. Vivre ainsi aux abords d’un majestueux lac était
un privilège et les habitants de la Pointe n’avaient rien à envier aux citadins
de Montréal. Tous les jours, Julianna et son père s’étaient assis sur la grande
véranda et avaient conversé un peu. Oh, ce n’était jamais des grandes
conversations et leur échange était toujours empreint d’un peu de gêne, mais ces
rencontres permirent à la jeune fille de combler un peu le vide laissé dans son
cœur par le cruel rejet de son père. Elle lui avait fait une petite place comme
le lui avait dit sa marraine et, effectivement, cela pansait bien des blessures.
Jamais Julianna n’avait été si heureuse même si son bonheur découlait beaucoup
plus de la présence d’un beau jeune homme roux. Le seul problème, c’était quejamais elle ne se retrouvait vraiment seule avec
François-Xavier. Soit que sa marraine et son parrain étaient avec eux, soit
c’étaient Ti-Georges et sa Marguerite qui les chaperonnaient. Elle devait
trouver le moyen de revoir François-Xavier mais seul. Rien ne lui venait à
l’idée. Ce n’était pas possible ! Elle et sa tante reprendraient le bateau dans
moins de quinze jours, elle ne pouvait s’en aller sans lui avoir parlé au moins
une fois en tête à tête. Elle ne pouvait se contenter de regards furtifs, de
sourires lointains, de promesses non dites !
— Julianna, t’es dans la lune ou quoi ? la secoua sa belle-sœur. Moé, ça me
dérange pas, mais ça fait deux fois que t’essuies la même assiette.
Les deux femmes étaient seules dans la cuisine à faire la vaisselle.
— Excuse-moi, Marguerite, je faisais pas attention.
— J’vois ben ça. T’sais, Julianna, j’te trouve ben gentille, c’est ben agréable
d’avoir une autre fille dans maison avec qui jaser un peu. Entre Ti-Georges pis
ton père, c’est pas toujours la fête. Des fois, j’ai l’impression d’avoir pas
rien que mes enfants qui soient des bébés…
— Tu as une moyenne belle petite famille. Ton dernier est un vrai petit ange !
Pis tu peux pas dire que tes enfants sont tannants, on les entend pas !
— C’est vrai que j’ai pas à me plaindre, y sont tous les deux en bonne santé
pis y s’entendent comme les deux doigts de la main. On les a pas vus de l’été, y
passent leur temps à jouer dehors.
— Je me demandais où est-ce qu’ils étaient encore passés à matin.
— En train de jouer dans le ruisseau, certain !
— Est-ce que tu viens de la région ?
— Mais oui, chus une fille de Péribonka. Tu veux que j’te dise comment on s’est
connus, ton frère pis moé ? Attends, passe-moé le gros
Weitere Kostenlose Bücher