La colère du lac
de tissu noir.
Satisfait du résultat, il admira son fils.
— En tout cas, j’pense pas qu’a lève le nez sur toé, mon garçon. J’te dis que
t’est pas laid, endimanché comme pour les grandes occasions.
— C’est l’odeur d’étable qui me donne du fil à retordre. Depuis des années, on
dirait que c’est rentré dans peau, se plaignit François-Xavier.
— Ben non, ben non, tu sens bon comme un p’tit agneau. Bon, ben, on y va-tu,
baptême ?
— Chus paré. Mais souvenez-vous, pas d’agaçage.
Ce fut une drôle de soirée. Pour être plus tranquille, Marguerite avait couché
ses deux enfants de bonne heure. Tout le monde était un peu mal à l’aise. On
sentait qu’Alphonse avait fait un grand effort pour veiller au salon. Il
accusait la fatigue mais affichait un sourire de bonheur.
Ti-Georges trouva que son père semblait avoir retrouvé un peu de paix à l’âme.
Ernest et Léonie ne cessaient de se lancer des petits sourires en coin. Après
des années cachés derrière les mots, se parler en personne avait quelque chose
de déstabilisant et tous les deux ne savaient comment s’y prendre.
François-Xavier et Julianna se dévoraient des yeux. Puis, petit à petit, grâce
surtout à Marguerite qui alimentait la conversation, l’ambiance se dégela un
peu. On posa des questions sur la vie trépidante de Montréal, on raconta les
développements de la Pointe. Puis Ti-Georges y alla d’un petit air de musique à
bouche qui réchauffa encore plus l’atmosphère. La grande attraction de la soirée
fut le cadeau de Léonie à toute la famille Gagné. À la demande de sa tante,
Ti-Georges et François-Xavier transportèrent la grande caisse de bois au milieu
du salon. À la surprise générale, sauf de Julianna, Léonie dévoila une
magnifique horloge grand-père aux aiguilles de bronze qui trônait maintenant
dans un coin du salon. Tous s’extasiaient devant un si bel ouvrage d’horlogerie
et un si princier présent.
— J’me demandais ben que c’est qu’y avait dans c’te bateau de grosse caisse !
dit Ti-Georges qui n’en revenait pas encore. J’ai eu beau asticoter matante
Léonie, a l’a jamais voulu m’dire c’qu’y avait dedans.
Léonie répondit :
— Une surprise, c’est une surprise. C’est pour qu’on oublie pus jamais le temps
qui passe au point qu’on se visite pas pendant des années encore.
Et Alphonse répliqua :
— Y a pas de saint danger. A sonne aussi fort que Léonie quand a monte sur ses
grands chevaux !
Un peu plus tard, Ernest demanda à son fils de raconter de nouveau l’anecdote
des crottes de lapin en spécifiant que c’était une histoire absolument
délicieuse.
— Mais vous savez que c’était l’idée à Ti-Georges, voulut
préciser François-Xavier après s’être exécuté.
— Bateau ! C’était toé, François-Xavier Rousseau, qui m’avais dit de le
faire.
— Pis la fois des bottines de la maîtresse d’école, j’suppose que c’était mon
idée aussi ? lui rappela François-Xavier.
— Ah non, là, c’est moé qui avais pensé à ce coup-là ! concéda Ti-Georges d’un
air penaud, mais tu m’avais aidé, François-Xavier, tu m’avais aidé !
renchérit-il.
— Ouais, on en apprend des belles à soir… dit Alphonse, confortablement
installé avec des coussins dans le dos dans sa chaise préférée, une berçante en
bois, patinée par les années. Racontez-nous donc ça, les p’tits gars, si c’est
racontable comme de raison.
— Vas-y, Ti-Georges, t’as plus de parlotte que moé, l’invita
François-Xavier.
— Tout le monde est ben installé ? demanda Georges en prenant place, debout,
l’air important, devant son auditoire.
— Oui, envoye Ti-Georges, marche sur les traces de ton père ! lança
Ernest.
Ti-Georges se racla la gorge et commença :
— C’était dans le temps que mon bon ami François-Xavier Rousseau, ici présent
ce soir, pis moé-même, Ti-Georges Gagné, étions encore des jeunots…
— Parce que vous l’êtes pus ? le coupa sa femme Marguerite d’un ton
dubitatif.
— Chut… écoute-la pas, Ti-Georges, a veut juste te déconcentrer pour pas que tu
fasses un fou de toé en racontant les horreurs de ta jeunesse, le rassura
Léonie.
— Vous le saurez jamais si c’était horrible ou pas si vous continuez de même !
Je recommence. Donc, on était p’tits gars pis
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