La complainte de l'ange noir

la falaise en essayant de trouver l’endroit exact où il avait frôlé la mort. Ses compagnons, le visage et les mains transpercés par le froid mordant, l’observaient, exaspérés. Mais le magistrat continuait à arpenter le rivage en se parlant à lui-même. Il s’arrêta enfin et s’écria :
    — Là-bas ! Regardez ! Regardez cette falaise !
    Gurney se borna à hausser les épaules, mais Ranulf, qui avait de bons yeux, examina la roche blanche et poussa une exclamation de surprise.
    — Le crâne ! C’est ce que mon maître a vu à l’Ermitage et... !
    Il n’acheva pas sa phrase, se souvenant de la promesse faite à mère Cecily.
    — Sir Simon, déclara Corbett, la falaise est en calcaire. Oubliez ce qui est à gauche et à droite, concentrez-vous sur la paroi en face de nous. Ne distinguez-vous pas un repli rocheux qui forme un crâne ?
    Gurney suivit les indications du clerc.
    — En effet ! Une avancée rocheuse. Si on la fixe assez longtemps, la partie supérieure revêt la forme d’un crâne et se rétrécit pour ressembler à une mâchoire.
    — Et les buissons ? ajouta Corbett. Ce sont les yeux.
    — Ce ne sont pas des buissons, mais de petites grottes, corrigea Ranulf. Maintenant, traçons un triangle : une ligne entre les deux yeux, deux autres au-dessous en oblique. Voyez où elles se croisent.
    La stupéfaction s’empara de Gurney.
    — Mais ce sont des broussailles qui forment la bouche ! Hugh, prétendez-vous que le trésor est caché là-haut ? Ces cavernes ne sont que de petites grottes creusées par la mer !
    — Nous verrons bien ! Si j’ai deviné juste, une caverne plus vaste doit se trouver cachée derrière.
    Ils remontèrent le sentier jusqu’au sommet de la falaise. Corbett n’était pas mécontent de s’éloigner de cette grève déserte et du grondement du ressac.
    — Maltote ! cria-t-il en s’approchant de son jeune courrier. As-tu apporté l’équipement que je t’ai demandé hier soir ?
    Maltote désigna un énorme sac sur la croupe de son cheval. Ils partirent le long de la falaise, Corbett en tête. Le magistrat s’efforçait de ne pas regarder en bas : les rafales de vent et l’amoncellement des nuages bas écrasant la lande rendaient l’abîme encore plus vertigineux. Ranulf, lui, avait le pied sûr : il s’avançait jusqu’au rebord, et, indifférent au vide, il longeait la falaise comme un chat, en jetant parfois des coups d’oeil en bas. Avec de grands gestes, il ordonna de reculer à ses compagnons, ce dont Corbett se félicita. Gurney, Selditch et Cachpole se regroupèrent autour du magistrat pendant que Maltote et les gardes vidaient le sac.
    — Fais attention ! recommanda Corbett.
    Souriant, Ranulf leur fit signe de ne pas bouger. Il cria que le bord de la falaise n’était pas pire que les toits des riches marchands. Mais il glissa soudain, le sol humide s’effritant sous lui. Corbett ferma les yeux en gémissant. Quand il les rouvrit, Ranulf avait recouvré son équilibre et, comme si de rien n’était, continuait ses recherches. Tout à coup, le jeune clerc s’arrêta. Prenant son poignard, il le planta en terre avant de revenir vers eux.
    — Nous sommes à la verticale des broussailles. Je n’aperçois aucune grotte, mais la falaise fait un creux. Peut-être que la caverne se situe plus à l’intérieur.
    Corbett appela Maltote. Ils surveillèrent l’installation d’une échelle de corde très semblable à celles utilisées sur les navires ou les remparts des châteaux. Une fois qu’elle fut solidement assujettie à des chevilles, on procéda de même pour deux autres cordes qui serviraient de mains courantes.
    — C’est plus sûr, souligna Ranulf. Si l’échelle fait des siennes, on pourra se retenir aux cordes. J’y vais d’abord. Vous venez ? demanda-t-il à Corbett, un sourire encourageant aux lèvres.
    Corbett acquiesça.
    — Alors suivez-moi ! Mais doucement et ne regardez pas en bas.
    Il détacha son baudrier et le mit sur son épaule.
    — Maltote, reste ici ! Surveille les chevilles ! Qu’elles ne sautent pas !
    Il empoigna l’échelle et commença à descendre à reculons, enjambant le rebord de la falaise. Il disparut à leur vue. Corbett murmura une prière. Il entendit Ranulf crier. Il saisit l’échelle et enjamba le rebord à son tour. Les yeux clos, il bougeait lentement un pied après l’autre. Il se cramponnait des deux mains, s’arrêtant de temps à autre lorsqu’une