La confession impériale
personnages, il s’intéressait peu à la vie de couple de ses
subalternes. Emma partage d’ailleurs son existence entre le palais où elle
séjourne peu, et notre domaine proche de Mayence.
En revanche, Louis a daigné s’informer de mes
origines et de la vie que j’avais menée au plus près de son père.
Je lui ai parlé de ma jeunesse dans une
famille aisée du Manigau, dans le duché germanique de la Hesse, de mon
éducation au monastère de Fulda, de mon entrée à la cour du roi Charles, à
l’âge de vingt-six ans. Je n’ai pas omis de lui parler des sarcasmes et des
brimades que m’ont valus, dans les débuts, ma taille fluette, mais certains
disaient en parlant de moi : « Petit corps mais grand cœur. » Je
lui ai raconté mes rapports, souvent difficiles, avec Alcuin, mes séjours en
Italie, mes goûts pour l’architecture, les arts et les lettres…
Je m’interrompais de temps à autre pour
laisser Louis se purger les narines d’un rhume qui refusait de le laisser en
paix et le privait de chanter à la messe.
— Fort bien, m’a dit-il mais que
comptes-tu faire : rester au palais, retourner auprès de ton épouse à
Mayence, ou accepterais-tu de me suivre à Toulouse ? Je pourrais faire de
toi un auxiliaire précieux.
— Votre Majesté, lui ai-je répondu, je
n’ai d’autre désir que de finir mes jours au palais. Tant de souvenirs m’y
retiennent.
— Je n’attendais pas de toi une autre
réponse. Je vais te confier l’éducation de mon fils Lothaire, mais je t’en
préviens : ce ne sera pas une sinécure. Il n’a de goût que pour la chasse
et les armes. Je t’autorise à faire usage du jeûne ou même du fouet en cas
d’indiscipline.
Lothaire, fils aîné
du roi Louis et de la reine Hermengarde, était une brute indocile et sournoise,
un jeune fauve qui se faisait les griffes sur son entourage, à commencer par
moi. Lorsque je lui lisais et lui commentais des ouvrages anciens ou modernes,
mes écrits notamment, il bâillait et faisait mine de dormir. Il trouvait
toujours un prétexte fallacieux pour éviter la messe. En revanche, il ne
manquait aucune partie de chasse. Pire encore, il terrorisait les servantes et,
en cas de résistance, n’hésitait pas à les violenter. J’ai vite dû renoncer au
jeûne et au fouet, car il menaçait de me tuer ! Si je ne faisais pas de ce
barbare un être civilisé, peut-être, me disais-je, deviendrait-il un bon chef
de guerre, car, à la salle d’armes, il imposait à ses maîtres.
Devenu adulte et aussi inculte que lorsque
Louis me l’avait confié, il a été placé par son père sur le trône d’Italie.
C’était introduire le loup dans la bergerie. Il allait donner libre cours à sa
perversité, au point d’inciter ses frères à se rebeller contre leur père qu’il
jugeait trop timide dans son gouvernement, et à le forcer à abdiquer. Il
donnait une image récurrente des mœurs des cours royales d’après le roi
Mérovée.
Le règne de Louis ne
se signale pas par son éclat. Vertueux et d’un naturel aimable, sa flamme tient
davantage du cierge que de la torche. Il est préoccupé du salut de son âme plus
que de la politique et de la guerre.
Je lui reproche une faute lourde de
conséquences : avoir laissé les chefs saxons, exilés en Francie par son
père, regagner leurs tribus, au risque de les voir de nouveau brandir
l’étendard de l’indépendance et restaurer les sanctuaires païens.
Il a manifesté une apparence d’autorité en
intervenant dans les querelles de sa progéniture, mais, trois ans après la mort
de l’empereur Charles, accablé par ses responsabilités, il a décidé de partager
son Empire entre ses fils, tous en âge de gouverner. Quand il a décidé de
donner un royaume à Charles, le fils qu’il a eu de sa deuxième épouse, Judith
de Bavière, les deux autres se sont rebellés, l’ont capturé et enfermé dans un
couvent, ainsi que son épouse.
Il allait s’ensuivre une guerre fratricide,
sur laquelle je ne saurais m’attarder, par respect pour l’empereur Louis, sinon
pour dire que, libéré du couvent par des affidés, Charles était entré en
campagne contre ses frères. Au moment de leur livrer bataille dans la plaine de
Rotfeld, en Germanie, abandonné par son armée, il avait été capturé, conduit à
Compiègne pour y être détrôné et condamné à la réclusion perpétuelle. De
nouveau libéré, il a pris le parti de Pépin et de Louis contre Lothaire. Un
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