La confession impériale
an
plus tard, il est mort d’épuisement dans une île du Rhin.
À peine libre des
soins dont j’avais entouré l’empereur Louis durant son séjour à Aix, je me suis
consacré à la réécriture, dans ma plus belle Caroline, de la confession
impériale. En avançant dans ce travail, au scriptorium du palais, je me
disais que jamais la Francie et l’Occident ne retrouveraient un souverain de
cette taille et de cette qualité. Je voyais peu à peu, à travers les mots et
les phrases, se dessiner un personnage tenant à la fois de la légende et de
l’histoire, dont les dimensions allaient s’épanouir au cours des siècles pour
en faire un mythe.
Quelques années
après la mort de Charles, las des intrigues et des violences de la cour,
couvertes sinon approuvées par Louis, ma décision était prise : je quittai
le palais pour me retirer, malgré les protestations de mon épouse, au monastère
de Saint-Wandrille, proche de Rouen, dont j’ai assumé le gouvernement durant sept
ans.
L’âge venu, pris par le mal du pays qui
dormait en moi depuis mon exil en Gaule, j’ai choisi une retraite plus sévère
au monastère de Seligenstadt, dans les montagnes de la Hesse, ma terre natale.
J’y mène un existence rude mais paisible, loin du tumulte d’un monde agité par
les passions, les révolutions et les guerres. Mon occupation essentielle est de
classer et d’annoter une correspondance accumulée depuis des années, et
d’écrire sur mon époque et sur celui qui demeure sinon mon Dieu, du moins mon
maître. Le scriptorium que j’y ai créé m’y aidera.
Certains soirs, alors que la neige envahit nos
jardins et nos forêts, mon cœur bat plus fort au souvenir des séances de dictée
en vue de la confession de Charles. Je me souviens qu’il soupirait, assis dans
son fauteuil placé dans l’embrasure de la fenêtre :
— Pas de chasse aujourd’hui, mon bon ami,
et pas de bain non plus. Le temps ne s’y prête pas. Alors, au travail ! Où
en étions-nous ?
3
Les vieilles chroniques du temps de Charles
abondent en présages de nature et d’origine diverses, relatifs à l’annonce de
sa mort.
Il avait fait construire sur le Rhin, dans les
parages immédiats de Mayence, un gigantesque ouvrage d’art en bois, dont il
tirait orgueil à juste titre, disant qu’il n’avait pas son pareil, par ses
dimensions, dans tout l’Occident. Ce pont, à la suite d’un orage, a été détruit
en une nuit, alors que l’on avait mis trois ans à l’édifier.
On a amené à Charles une femme du Morvan,
sorte de sorcière dépenaillée, échevelée, à demi folle mais dotée, disait-on,
d’un pouvoir de visionnaire. Il avait consenti à la recevoir et à l’écouter. Elle
s’exprimait dans une langue inconnue qui rappelait celle des Gaulois et dont
j’avais une connaissance sommaire. Je traduisis tant bien que mal son délire. À
l’en croire, des voix descendues du ciel annonçaient la mort prochaine du plus
puissant souverain que la Gaule eût jamais connu. La prédiction de cette pythie
rustique se révéla juste : Charles était mort une semaine plus tard, dans
les circonstances que j’ai relatées.
Nous fûmes témoins, au temps de Noël, avant la
mort de Charles, d’un étrange phénomène : un combat en plein ciel entre
des oiseaux de proie, qui ne fut interrompu que par la tombée de la nuit.
Autre phénomène insolite : le jeu
d’échecs en ivoire, présent du calife Haroun, que Charles gardait à l’abri d’un
placard vitré dont il avait seul la clé, avait été bouleversé, toutes les
pièces gisant à terre, comme balayées par un coup de vent, sans que la porte
eût été forcée.
La veille de la mort de Charles, c’est le ciel
qui nous envoya un autre présage, tout aussi singulier et inexplicable par la
raison que les précédents. Poussé par des vents de Germanie, un lourd nuage
chargé de neige et de pluie avait envahi le firmament d’un bord à l’autre de
l’horizon, faisant peser sur la ville et les campagnes une nuit de cendre.
Soudain, une brèche s’était ouverte dans ce magma pour laisser filtrer une
coulée de soleil où certains reconnurent la forme d’une croix, et d’autres
celle d’une épée flamboyante…
Pour en savoir plus…
Il existe, sur Charlemagne et son temps, une
foule de documents que nous ne saurions recenser. Nous nous contenterons de
citer quelques ouvrages essentiels.
Parmi les auteurs
des VIII e et IX e siècles :
ALCUIN, Livre
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