La confession impériale
renoncer à leur résolution.
Devant tant de lâcheté et de mensonge, la main
me démangeait de le souffleter, et je l’eus fait si nous eussions été seuls.
Les rapports de Fardulf étaient formels : Pépin était la cheville ouvrière
du complot, et les réserves dont il m’avait fait part ne venaient pas de lui.
Dans l’heure qui
suivit, je fis arrêter et enfermer mon fils et ses complices dans les caves de
la forteresse de Ratisbonne, avant de réunir mes proches pour constituer un
tribunal. L’affaire fut vite expédiée. Pour Pépin, je restais libre de décider
de son sort ; pour ceux qui l’avaient assisté les juges furent unanimes :
ils méritaient la mort.
Je fis dresser sur la place publique un
échafaud destiné au supplice et une tribune réservée à mes officiers, aux
évêques, aux abbés et aux notables de la ville, conviés avec leurs épouses.
J’exigeai que toute la population fût présente. Malgré leurs protestations
accablantes pour Pépin, la tête sur le billot ou la corde au cou, les plus
compromis eurent la tête tranchée et la valetaille fut pendue.
Je fis fouetter, en complément à ce supplice,
une dizaine de subalternes, hommes et femmes qui, au courant de cette intrigue,
ne m’en avaient pas informé. La population goûta fort ce spectacle qui occupa
tout un après-midi, malgré quelques rafales de pluie.
Pépin allait, de par ma volonté, subir un sort
différent.
Enfermé dans un cachot, il envoya un gardien
me dire que la privation de lumière le rendait malade et que je risquais
d’avoir sa mort sur ma conscience si je ne lui rendais pas sa liberté. Avec son
ordinaire désinvolture, il ajoutait le chantage au mensonge. Je ne consentis à
le faire sortir de sa géhenne que pour qu’il assistât à l’exécution de ses
complices. Seul, debout et immobile entre l’échafaud et la tribune, il était
vêtu de sa seule chemise qui, humide de pluie, lui collait à la peau et
laissait deviner son corps difforme.
Ma première réaction avait été de le faire
décapiter, mais je répugnais à voir couler son sang, le mien : il aurait
laissé des éclaboussures sur ma conscience jusqu’à la fin de mes jours.
Lorsque, au terme
des exécutions et des supplices, il comprit que j’épargnerais sa vie, il tomba
à genoux, mêlant ses larmes à la pluie. Avant de retourner à son cachot, il
voulut m’embrasser ; je le repoussai. Il protesta, disant que, trop
confiant, il s’était laissé égarer par des criminels, et me promit, si je lui
rendais sa liberté, de faire preuve de sagesse envers ses sujets et de fidélité
envers moi.
— C’est un nouveau domaine que je vais te
confier, lui répondis-je, et tu n’auras guère de mal à l’administrer, car il
tiendra entre les quatre murs d’une cellule. Tu y seras en compagnie de
blattes, d’araignées et de rats, ce qui ne te changera guère de tes proches…
Je donnai à Fardulf, pour le remercier de ses
bons offices, l’abbatiale de Saint-Denis, proche de Lutèce. Pépin n’eut pas un
long chemin à faire pour occuper son nouveau royaume : je choisis de le
faire enfermer au monastère bénédictin de Prüm, dans les solitudes des monts
Eifel.
3
À ceux qui, après ma mort, liront ce récit, je
demande pardon, comme à Dieu, à son Fils et à la Vierge Marie, d’avoir passé
une partie de mon existence sous le harnois.
La guerre… Elle a été la plus exigeante de mes
maîtresses et moi son amant le plus passionné. Elle m’a donné autant sinon plus
de plaisir que quelques femmes autoritaires dont je me souviens, mais que je me
plaisais à humilier pour mieux les dominer. À aucun moment elle ne me laissa
éprouver lassitude ou ennui : les théâtres d’opérations étaient toujours
différents, de même que les guerriers que j’affrontais et les populations que
j’avais à soumettre et à gouverner.
Il y avait une part de choix personnel dans
cette dilection, le reste étant lié à mon destin, qui était d’être roi. Et quel
roi pourrait régner sans faire la guerre, qu’elle fût offensive ou
défensive ? L’humanité ne fait qu’apercevoir les rives du paradis terrestre
où les hommes n’auront plus à prendre les armes, où le monde et les dons du
ciel et de la terre seront équitablement partagés. Pour y parvenir, dans les
siècles des siècles, l’humanité a un long chemin de sang et de cendres à
parcourir. Que Dieu le lui abrège !
L’année qui vit le
complot manqué
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