La confession impériale
la chrétienté, dans les déserts de
Judée ou de Palestine. Elle a, en dépit des brimades, perduré jusqu’à nos jours
et, semble-t-il, n’est pas sur le point de disparaître.
Un évêque de la ville d’Urgel, dans les
marches d’Espagne, Félix, avait pris le relais de cette doctrine qui fut
appelée par les tenants de la tradition l’« erreur espagnole ». Ses
adeptes, comme certains des premiers chrétiens, avaient acquis le certitude que
le Christ n’était pas le fils de Dieu mais qu’il était adopté par lui.
Dieu l’aurait choisi, en vertu de ses qualités exceptionnelles, pour être l’élu
qui allait faire pénétrer la foi dans un monde livré au paganisme.
Le pape Adrien, informé du danger de voir
l’évêque d’Urgel se répandre en prédications intempestives pour propager cette
doctrine fallacieuse, convoqua à Ratisbonne un concile destiné à trancher dans
le vif. Félix s’y présenta et se comporta, au cours des débats, avec une
vigueur et une conviction auxquelles je me dois, en dépit de mes réserves, de
rendre hommage. Malgré ses efforts, son courage et sa dignité, il dut assister
à l’autodafé de ses écrits, prêter serment sur les saints Évangiles de renoncer
à l’« erreur espagnole » et retourner, repentant, dans le sein de
l’Église.
À la demande du pape, je le fis conduire à
Rome où il dut renouveler son repentir sur la confession de saint Pierre, avant
de regagner ses montagnes.
Quelques mois plus tard, Félix allait renier
son serment et reprendre ses prédications déviationnistes avec une ardeur
décuplée par ses humiliations, et le soutien de quelques sommités épiscopales
contaminées par cette doctrine. Il tenait sa conviction, disait-il, de la « mer
immense des Écritures ». Je dois convenir que ses arguments ne manquaient
pas de poids. Je reçus une lettre de sa main dans laquelle il réclamait mon
arbitrage, avec « un jugement pur et sain, sans l’huile de la
flatterie » !
Alcuin me fut précieux dans les réflexions
auxquelles je me livrai durant des semaines, plongeant, à en perdre mon latin,
dans des textes anciens, à commencer par la « mer immense des
Écritures » dont parlait Félix.
La position d’arbitre, à laquelle je ne
pouvais déroger, m’exposait à recevoir des rebuffades de toutes parts. Cette
affaire me troublait au point que j’en oubliais le boire et le manger et que ce
conflit sibyllin occupait mes jours et hantait mes nuits.
Troublé plus que je ne le montrais par ce
schisme que le pape Adrien appelait « un chancre et un poison », je
ne savais sur quel pied danser. J’aurais volontiers adopté les arguments de
Félix, mais cela m’eût valu l’anathème du Saint-Siège et mon excommunication.
Il fallut un nouveau concile pour contraindre
Félix et ses adeptes à faire amende honorable. La controverse dura une semaine,
avec des alternances de tempêtes et de sérénité. La renonciation de Félix à ses
erreurs, faite « de bouche et de cœur », allait avoir du mal à
s’imposer parmi ses adeptes.
Ce conflit rappelait celui des images qui
avait mis Constantinople à feu et à sang et avait ébranlé l’Église d’Occident.
J’avais pris parti dans cette dernière controverse : renoncer aux images
et les détruire était pour moi un sacrilège et une résurgence du vandalisme.
Dieu m’en est
témoin, je n’ai jamais souhaité me débarrasser de mon fils, Pépin, mais sa mort
allait être un soulagement pour moi et ma famille.
Le souci de la vérité qui accompagne ce récit
m’oblige à faire état des actes intolérables qui allaient le dresser contre moi
et ses frères et inciter certains mauvais esprits à assimiler ma cour à celles
de Byzance ou de Cordoue.
Je dois avouer que je n’ai pas toujours donné
à ce fils au physique ingrat et au caractère sournois l’affection qu’il était
en droit d’attendre de son père. Je ne l’avais jamais brutalisé, mais je
m’étais désintéressé de son sort.
Dois-je le rappeler ? Il était né de mes
rapports avec une de mes concubines, Himiltrude, épousée selon le rite
germanique, sans prosternation devant l’autel, ce qui faisait d’elle une épouse morganegiba, autrement dit illégale aux yeux de la religion.
L’enfant qu’elle me donna, Pépin, eut à subir
dans son enfance, du fait de son infirmité, des brimades de ses compagnons de
jeu, dont je n’ai rien fait, je le confesse, pour le protéger ;
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