La confession impériale
en
revanche, je lui ai donné la même éducation qu’à ses frères.
Quand il m’arrivait de le rabrouer, je pouvais
mesurer à son regard ou à ses larmes l’intensité de sa détresse. J’aurais dû
céder à cette quête de protection, mais je m’en moquais. Il se réfugiait alors
dans les jupes de sa mère, la seule créature qui lui témoignât l’affection que
j’aurais dû lui donner.
Je ne puis trouver quelque apparence de
logique dans mon comportement. Pépin me semblait doué d’une double
nature : un avers façonné par Dieu à l’image d’un personnage de
missel ; un revers modelé par le diable, avec sa bosse et son
déhanchement. Dans les brefs rapports que j’eus avec lui, rien ne m’eût permis
de déceler la promesse du moindre talent, mais en revanche une aptitude à la
dissimulation et une naïveté déconcertante.
C’est ce dernier défaut qui allait causer sa
perte.
Sa mère, Himiltrude,
cette « demi-reine », avait été chassée de la cour par ma mère
lorsque cette dernière avait appris nos relations et l’enfant qui en était
issu. J’avais été contraint, sous sa férule, à épouser la princesse Desideria,
fille du roi Didier. On sait ce qu’il est advenu de cette union ; elle n’a
duré qu’une année. À la mort de la reine Berthe, ma mère, je n’avais eu de
cesse de rappeler à la cour mon épouse franque et notre fils, de faire à
Himiltrude une place honorable dans mes services et de donner à Pépin une bonne
éducation, sans oublier de le faire déniaiser par des servantes, ce qu’il
appréciait fort.
Un jour, pour se jouer de lui, mon fils,
Charles, dit le Jeune, l’avait fait s’égarer dans la forêt au cours d’une
partie de chasse. Ce n’est qu’au milieu de la nuit, à la lumière des torches,
que j’étais parvenu à le retrouver, blême, chancelant encore de fatigue et de
peur, ses vêtements en lambeaux. Le lendemain, il avait provoqué Charles en un
combat à mains nues et s’en était tiré à son honneur, le visage ensanglanté
mais l’air triomphant.
L’adolescence venue,
j’avais confié cette tête creuse, ouverte à tous les vents, à un officier de ma
maison pour lui apprendre les armes. Pépin n’y avait manifesté aucune
disposition favorable et avait dû y renoncer. À ces jeux violents, auxquels il
n’était pas préparé, il préférait l’intrigue. Jaloux des faveurs que je
procurais à mes autres fils, il s’était rebellé, disant qu’étant l’aîné, il
devait avoir la meilleure part et une suprématie sur ses frères.
Quelques années plus
tard, je lui confiai des domaines à administrer. Il usa et abusa tant de ses
pouvoirs que je m’en émus. Il écoutait plutôt les conseils de son mentor, le
comte saxon Theudald, que ceux de son conseiller, le moine lombard Fardulf, que
j’avais pris soin de placer près de lui. J’étais chaque semaine informé par lui
ainsi que par mes missi de son comportement dans ses résidences ;
il s’y conduisait comme un satrape.
On s’agitait fort dans son entourage. Theudald
l’avait dissuadé de m’apporter le concours de son armée pour apaiser ou mater
les Barbares du sud de la Germanie qui violaient impunément mes frontières. Il
lui avait fait comprendre à mots couverts qu’étant donné mon âge et les
problèmes contre lesquels je me débattais, Dieu ne verrait pas un inconvénient
à ce que l’on donnât un coup de pouce au destin. De là à passer à l’acte, il
n’y avait qu’un pas. Pépin n’avait pas hésité à le franchir.
Informé par les courriers de Fardulf de cette
machination, je la pris au sérieux.
L’année 792, au cours du concile tenu à
Ratisbonne sur l’adoptianisme, je rencontrai Pépin et tentai de lui tirer les
vers du nez. Il se comporta avec maladresse, protesta mollement de sa bonne
foi, s’efforça de brouiller les pistes, et me reprocha mes soupçons. Il finit
par s’enliser dans ces eaux troubles et par m’avouer qu’au cas où je
succomberais dans une bataille ou victime de mon âge, il lui revenait de
coiffer ma couronne en vertu de son droit d’aînesse.
Pour se disculper, après cette confidence
voilée, il me révéla que Theudald et quelques officiers de sa cour avaient
prévu mon assassinat, au cours du concile ; il s’y était opposé
« avec énergie », jugeant inconcevable d’apporter sa double caution à
un acte qui était à la fois un parricide et un régicide. Il n’avait pu les
faire
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