La cote 512
méritait de se voir confier une pareille corvée ?
— Bon courage, alors.
— Merci, mon inspecteur.
Il y avait, dans la façon dont Octave s’adressait au policier, une ironie désabusée exempte d’agressivité et qui, pour cela même, perturbait Célestin. Il suivit des yeux Octave qui, sa pelle sur l’épaule, rejoignait sa petite troupe. Le lieutenant de Mérange vint près de lui.
— Encore un des vos anciens « administrés » ?
— Oui, c’est curieux. J’avais envie de lui parler comme à une vieille connaissance, mais au fond, nous n’avons rien à nous dire.
Un bruit de moteur lointain leur fit lever les yeux. Un avion de reconnaissance allemand survolait les lignes. Les deux hommes savaient que c’était mauvais signe. Leur repos fut d’ailleurs écourté. Il semblait que la position que leur compagnie avait pour mission de défendre eût une valeur opérationnelle car, de chaque côté, attaques et contre-attaques se succédaient, ordonnées par un commandement dont les hommes se demandaient souvent s’il avait une quelconque stratégie dépassant le morceau de front qui s’étalait devant eux.
— Pourquoi qu’on reste pas bien sagement dans notre trou ? pérorait souvent Flachon. Ceux d’en face en feraient autant, jusqu’à ce que les gouvernements trouvent à s’arranger.
— Ils nous ont quand même piqué l’Alsace et la Lorraine, ces salauds, protestait Fontaine.
— Pour ça, rien de plus facile : tu demandes aux gens de là-bas dans quel pays qu’ils veulent être, et voilà, le tour est joué !
— Tu ferais un sacré diplomate, le tonnelier, avait remarqué Peuch en rigolant.
Il n’empêchait que, malgré toutes les bonnes paroles de Flachon, ils étaient de nouveau en première ligne, la tête rentrée dans les épaules, le regard au-dessus d’eux pour voir à temps la mort qui tombait du ciel. Bien renseignés par les aviateurs, les canons allemands tiraient avec une redoutable précision. Un duel d’artillerie s’engagea au-dessus des soldats.
— Pour une fois que c’est les artilleurs qui dégustent ! remarqua Flachon.
— Et qu’est-ce que tu feras quand ils seront plus là, saucisse à pattes ?
— Je foutrai le camp d’ici, bonhomme !
Mais comme les tirs français s’intensifiaient, ce fut une autre inquiétude qui gagna le cœur des hommes. Cela sonnait comme la préparation d’une attaque. Jamais depuis leur arrivée la section de Célestin n’était sortie de sa tranchée pour se lancer dans le no man’s land où pourrissaient encore quelques cadavres, dans l’espoir illusoire de gagner un bout de tranchée qui serait presque aussitôt reprise. Une estafette apparut au bout du boyau et courut jusqu’au lieutenant qui décacheta rapidement le pli qui venait du commandement. Il lut rapidement les quelques lignes et consulta sa montre. Tout autour, la canonnade augmentait, atteignant un paroxysme invraisemblable qui laissait les hommes bouche bée, comme si l’enfer s’était déchaîné sur eux et que rien ne pouvait plus les sauver. Et puis d’un coup, ce fut le silence, ils étaient brusquement dans l’œil d’un cyclone, au cœur étrangement calme d’un maelström qui allait tout emporter.
— Baïonnette au canon ! hurla Mérange.
Louise et Béraud échangèrent un regard. Le policier dut aider Germain à fixer sa « Rosalie » au bout de son fusil, tellement il tremblait. Déjà, le tir des mitrailleuses allemandes avait repris.
— Pourquoi qu’elles sont encore là, ces maudites ? pesta Peuch. On va pas se jeter là-dedans, quand même !
— Et qu’est-ce que tu crois, bec de puce ? Mais on t’a pas appris à passer entre les balles ?
Le lieutenant s’était mis au créneau et observait le terrain bouleversé, semé d’embûches, de débris et de barbelés qui les séparait des Allemands. Les impacts des balles de mitrailleuse soulevaient par endroits des petites gerbes de terre qui traçaient leurs chemins de mort au milieu des trous d’obus.
— Nous allons attaquer. Que la moitié des hommes se mette en place sur la banquette de tir, ce sera la première vague. Dès qu’ils seront sortis, la deuxième vague suivra. Première vague, en position !
Les hommes ne protestèrent pas et ceux qui voulaient en finir au plus vite se préparèrent. Des fusées rouges partirent de divers points du camp français. Mérange leva le bras :
— Première vague, à l’attaque !
Prenant
Weitere Kostenlose Bücher