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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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lamentations, résonnait sous les pleins-cintres de la nef. Une des ailes du transept avait été démolie par une bombe, et dans ce qui restait debout, on avait installé un hôpital de campagne où quelques infirmières bénévoles, aidées par une demi-douzaine de religieuses, se dévouaient nuit et jour pour soulager les blessés. Allongé près de lui, Célestin vit un soldat immobile sur le dos, le buste entièrement pris dans un bandage sanguinolent, le regard fixe, la bouche ouverte d’où s’échappait une plainte ininterrompue. Au-dessus de lui, sur un socle accolé à un pilier, un Curé d’Ars souriait benoîtement à toute cette horreur. Il régnait dans l’édifice une odeur de désinfectant assez puissante pour couvrir celle des corps en souffrance. Le chœur, depuis l’autel, servait de salle d’opération. Les soignantes se déplaçaient sans un bruit, on eût dit qu’elles glissaient sur les dalles de la nef, disparaissant régulièrement dans l’ancienne sacristie d’où elles ressortaient chargées d’antiseptiques, de compresses ou de calmants. Parfois, une voix faible tentait d’attirer leur attention, de les distraire d’un autre blessé pour quémander un improbable soulagement. Une sœur à la cornette approximative, au visage tendu de fatigue, au regard plein de compassion, s’approcha de Célestin.
    — Alors, vous voilà réveillé ?
    — Je suis là depuis combien de temps ?
    — Deux jours.
    — Qu’est-ce qui m’est arrivé ?
    — On vous a retrouvé inconscient au fond d’un trou d’obus. Comme vous n’aviez pas de blessure apparente, les infirmiers vous ont ramassé, mais ils pensaient que vous étiez mort.
    — Et vous, qu’est-ce que vous en pensez ?
    La religieuse sourit, posa la main sur le front de Célestin, puis lui tendit un verre d’eau sucrée. Il le prit avec difficulté et le but à petites gorgées. Chaque geste, chaque déplacement, le plus petit mouvement lui faisait mal. Il avait l’impression d’avoir été roué de coups, piétiné, brisé.
    — Je n’ai rien de cassé ?
    — On dirait que non. D’après ce qu’on nous a dit, vous auriez été projeté en l’air par le souffle d’une explosion avant de rouler au fond de votre trou. Personne ne comprend comment vous n’avez pas été touché par un éclat d’obus, il y en avait tout autour de vous.
    — Vous pensez que c’est un miracle, alors ?
    — Je pense que vous avez eu de la chance.
    D’un coup, Célestin se rappela l’attaque, la folie de mort qui s’était emparée du monde, les hommes qui tombaient autour de lui, les mitrailleuses qui crépitaient, les hurlements, l’angoisse. Et le jeune lieutenant avec cette grande tache de sang au dos de sa veste.
    — Le lieutenant… le lieutenant de Mérange, qui était avec moi… vous savez ce qu’il est devenu ? On l’a retrouvé ?
    — Ça, je n’en sais rien. Ici, on reçoit des blessés de dix kilomètres à la ronde, on vous répartit au petit bonheur, on opère en urgence, on évacue comme on peut vers l’arrière ceux qui sont transportables. Autour de vous, il y a des hommes de cinq ou six régiments différents.
    Un blessé se mit à hurler, la sœur infirmière reposa le verre sur une caisse qui faisait office de table de chevet, conseilla à Célestin de se reposer et s’éloigna rapidement. Le jeune policier entreprit de vérifier attentivement s’il était bien indemne. Il se mit à bouger successivement toutes les parties de son corps, depuis les orteils jusqu’aux sourcils. Il fut soulagé de constater que tous ses muscles répondaient, que ses os bougeaient, que ses articulations fonctionnaient. Il prit quelques profondes inspirations pour éprouver les courbatures qui lui ruinaient les côtes, mais la douleur restait supportable : la sœur avait raison, il n’avait rien, il était sain et sauf, il s’en était sorti. D’un coup, il eut envie de crier sa joie, son soulagement, avant de se rappeler que tous n’avaient pas la même chance. Mais il fallait qu’il sorte de cet hôpital, il ne devait pas rester ici, parmi les mourants, les mutilés, les infirmes. Encore assommé et déjà à moitié retombé dans l’inconscience, il s’étonna pourtant de sa hâte, de son impatience à s’en aller. L’image du lieutenant mort lui revint alors encore une fois, le lieutenant assassiné.
    — Il n’a pas été tué par les Boches, murmura Célestin, on lui a tiré dans le dos…
    Et puis

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