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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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il sombra de nouveau dans un profond sommeil que son corps épuisé réclamait.
    La pluie s’était remise à tomber lorsque Célestin quitta l’hôpital-église de Vailly. Ils étaient un peu en retrait du front. L’attaque avait été un succès, l’état-major se réjouissait d’avoir gagné deux cents mètres, un grand maréchal appelait ça « la tactique du grignotage ». Une tactique qui coûtait cher en vies humaines, mais dans ce domaine, semblait-il, l’heure n’était pas à l’économie. Quelques décorations avaient même été décernées, dont une croix de guerre à titre posthume au lieutenant de Mérange. Célestin s’était emmitouflé dans sa capote, le képi enfoncé jusqu’aux yeux. Il faisait un froid de gueux, la pluie glaciale, portée par les rafales de vent d’est, se glissait partout. Louise resta un moment sous le porche d’entrée, appuyé à une colonne qui supportait une gargouille grimaçante. Devant lui, sur un terre-plein boueux que les roues des véhicules achevaient de rendre impraticable, des infirmiers chargeaient des blessés graves à l’arrière d’un camion aménagé tant bien que mal en transport sanitaire. On s’était contenté en fait d’installer de chaque côté d’une étroite allée centrale trois niveaux de couchettes de toile sur lesquelles on avait allongé les hommes les uns au bout des autres. Célestin vit le sang qui gouttait à travers les couches du haut pour venir s’écraser sur les occupants de l’étage inférieur. Un infirmier claqua les deux portes arrière puis grimpa dans la cabine, à côté du chauffeur qui démarra. Le lourd véhicule patina un moment, puis s’ébranla et disparut au coin de quelques maisons en partie détruites. Célestin se décida à sortir de son abri pour affronter la pluie et le vent. Après avoir récupéré un fusil, des cartouches et un paquetage, il devait rejoindre une section d’artilleurs qui stationnaient un peu en dehors du village, et partir avec eux jusqu’au hameau du Touret où la 22 e compagnie avait pris ses quartiers. Ce fut la première fois que Célestin eut tout le temps de détailler de près ces fameux 75 dont le tir précis et rapide les avait déjà sortis de quelques mauvais pas. Ils étaient alignés, canons à 45 degrés, et ces bouches à feu dirigées vers le ciel gris semblaient plus prêtes à engloutir la ration du midi qu’à cracher leurs obus. Derrière, les caisses de munitions avaient été entassées par cinq ou six sur des charrettes. Les avant-trains étaient hérissés de seaux, de manches d’outils, de toiles de tente, de sacs d’armes et de cordes à chevaux. Ceux-ci, dételés, vaquaient alentour, broutant l’herbe rare et boueuse sur le bord du chemin. Les artilleurs s’étaient abrités dans une grange ouverte à tous les vents et, assis ou à demi allongés dans la paille, se régalaient d’une soupe chaude et d’un pain pas trop rassis. Le cuistot, un grand type maigre au visage douloureux, comme si la préparation du repas lui était une insupportable souffrance, fut le premier à voir Célestin qui s’avançait entre les affûts et les attelages.
    — Tiens, on a de la visite !
    Louise se présenta. On lui fit bon accueil, le cuistot lui tendit une gamelle fumante et une bouteille de rouge encore à moitié pleine. Entre deux bouchées, il dut raconter son histoire. Les autres étaient impressionnés de le voir repartir si vite au front.
    — T’aurais pu gagner encore deux, trois jours de repos.
    Comment leur aurait-il expliqué que, plus le temps passait, plus son enquête serait délicate, difficile ? Comment même aurait-il pu leur exposer ses doutes, son intuition de flic qu’un meurtre avait été commis alors que chaque jour, presque à chaque seconde, tous ces hommes risquaient leur peau ? Et puis, était-il certain que le lieutenant de Mérange avait bien été assassiné ? Ils étaient arrivés ensemble sur le front : en si peu de temps, comment le lieutenant aurait-il pu s’attirer une haine mortelle ? Il y avait des tas de façons d’attraper une balle dans le dos. Pourtant, le jeune policier faisait confiance à son intuition, même s’il connaissait peu Mérange. Le lieutenant avait toujours manifesté à Célestin une réelle bienveillance, mais il avait pris ses distances à chaque fois que leur relation aurait pu prendre un tour plus amical, plus intime. Passé quelques banalités, il n’avait pas eu envie de parler

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