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La cote 512

La cote 512

Titel: La cote 512 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thierry Bourcy
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avec le jeune homme travesti dont la dégaine attirait tous les regards. Collée à la vitre, effondrée, sa mère le regardait s’éloigner vers la gare.
    — Qu’est-ce qui va lui arriver ? Qu’est-ce qu’ils vont lui faire ?
    — L’envoyer le plus vite possible au front, madame, sans doute dans un bataillon disciplinaire.
    — Mais il va se faire tuer !
    À cela, Célestin n’avait rien à répondre. Il comprenait sans l’approuver la dérobade désespérée du jeune homme, mais il en avait déjà tant vu mourir, éventrés, égorgés, éparpillés dans l’air, fendus en deux ou simplement gris et froids, à bout de leur sang, crispés sur une blessure affreuse, qu’il lui était devenu impossible de s’attacher, si peu que ce fût, à un destin particulier. Il avait constaté qu’au fur et à mesure qu’on colmatait les brèches énormes faites dans les rangs du régiment par des nouveaux venus, une sorte d’indifférence s’était installée. On devenait camarades de souffrance, solidaires au combat, mais ça s’arrêtait là, on savait trop bien que le copain de tranchée pouvait se transformer d’une minute à l’autre en un bout de chair sanguinolente, et qu’on n’aurait pas le temps de s’apitoyer, à peine celui de l’enterrer. La dame resta silencieuse, perdue dans des pensées inquiètes. Et puis, d’un coup, elle se remit à accabler Célestin de questions, il fallait qu’il explique tout, l’emploi du temps, les armes, les attaques et les relèves, la vie dans la tranchée, les officiers… C’est ainsi qu’il en vint à évoquer Paul de Mérange, son lieutenant mort. Il vit son interlocutrice devenir pâle et ouvrir de grands yeux.
    — Vous avez connu Paul de Mérange ?
    — J’étais sous son commandement, madame. Vous aussi, vous le connaissiez ?
    — Je viens d’apprendre sa mort, monsieur, et je vais soutenir sa veuve, qui est une grande amie à moi, Claire de Mérange. Nous étions ensemble en pension et nous ne nous sommes jamais perdues de vue. Je voulais en profiter pour mettre mon fils à l’abri. Il faut absolument que vous passiez la voir.
    — C’était bien mon intention, madame. Elle réside bien au lieu-dit La Teisserie ?
    — Oui, c’est un hameau à une trentaine de kilomètres du Mans. Mais je sais qu’elle est accablée par le chagrin. Il faudra mesurer vos paroles.
    Célestin acquiesça. Il se remémorait la lettre de Claire de Mérange, ses phrases distantes qui n’évoquaient ni l’inquiétude, ni la tristesse, mais plutôt une certaine amertume. Mais sans doute la mort de son mari lui avait-elle révélé la profondeur et la permanence de ses propres sentiments. Le jeune policier savait déjà que les liens entre deux êtres sont souvent mystérieux, à commencer pour eux-mêmes.
    — Pensez-vous que je puisse trouver dans les environs un hébergement pour deux nuits ?
    — Je demanderai à Claire de vous recevoir, elle ne refusera pas. Et puis, vous avez traversé la France pour lui parler de Paul.
    Madame Leroy considéra avec embarras l’uniforme dévasté et la tenue désordonnée de Célestin.
    — Elle vous prêtera aussi un habit, votre uniforme a besoin d’être nettoyé.
    Louise, qui souffrait encore de la morsure des poux, se sentit gêné. Il comprit tout ce que sa visite pouvait avoir d’absurde, et combien le théâtre de la guerre était loin des préoccupations de l’arrière et obéissait à d’autres lois, à d’autres priorités, à d’autres certitudes. Il détourna les yeux et s’absorba dans la contemplation du paysage hivernal sur lequel le soir avait déjà jeté un voile gris. Le rouge lui était monté aux joues.
    — Nous ne nous sommes pas présentés. Je m’appelle Hortense, Hortense Leroy.
    — Célestin Louise.
    Un peu maladroitement, ils se serrèrent la main. Elle expliqua qu’elle habitait une petite maison au Vésinet, près de Paris, avec son fils Maurice, ils vivaient des rentes que leur avait laissées son défunt mari, mandataire aux Halles. Célestin hésita un moment puis finit par annoncer qu’il travaillait à la préfecture de police, sans préciser sa fonction exacte. Hortense Leroy le félicita d’être fonctionnaire, c’était un choix rassurant dans cette époque troublée. L’image de son fils emmené par les deux gendarmes lui revint à l’esprit.
    — Vous ne connaissez personne, à la préfecture, qui pourrait nous aider ?
    — La préfecture n’a rien à

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