La cote 512
tunnel, tout parut se découvrir et ils s’arrêtèrent devant les grilles d’un vaste jardin. Deux lampadaires éclairaient l’entrée et deux autres, plus loin, le perron d’une grande demeure qui devait bien avoir deux cents ans, et dont un des pignons était flanqué d’une tour ronde. De nombreuses fenêtres brillaient, ils étaient attendus. Un domestique engoncé dans un gros manteau vint ouvrir la grille, la voiture se gara sur la droite du bâtiment. Tandis que Célestin et Joseph descendaient la valise d’Hortense, le domestique referma la grille et s’approcha. C’était un homme longiligne d’une cinquantaine d’années au visage long surmonté d’un crâne chauve. Il portait une lanterne. Il s’appelait Jacques et, avec sa femme Bernadette, qui s’occupait du ménage et de la cuisine, composait tout le personnel du manoir. Il salua Hortense.
— Bonsoir, madame, et bienvenue à la Teisserie. Vous avez fait bon voyage ?
— Excellent, Jacques, excellent.
Le majordome se tourna alors vers Célestin et s’immobilisa, bouche bée, les yeux agrandis de stupéfaction.
— Monsieur Paul ?
De fait, à la lueur insuffisante de la lanterne et dans les reflets qui arrivaient des fenêtres, on ne distinguait que la silhouette de Célestin, et surtout son uniforme. Hortense s’empressa de dissiper le malentendu.
— Je vous présente Célestin Louise, Jacques. Il s’est battu sous les ordres de monsieur Paul.
Le domestique, impressionné, fit un effort pour se reprendre avant d’accompagner les arrivants jusqu’au perron. Il ouvrit la lourde porte arrondie. Ils entrèrent dans un large vestibule au carrelage à damier noir et blanc. Célestin et Joseph posèrent la lourde valise par terre. Un grand escalier partait sur la gauche. Au fond, une porte devait donner sur les cuisines, à en juger par les fumets qui en provenaient. Sur la droite, enfin, la double porte d’un salon brillamment éclairé, dont un des battants était resté ouvert. Une silhouette de femme s’approcha. Elle se découpait en contre-jour sur la lumière vive de la pièce, on pouvait seulement deviner qu’elle portait une robe longue et que sa chevelure abondante se déroulait sur ses épaules. Elle marchait avec grâce, très droite et sans raideur. Sa démarche trahissait toutefois une certaine lassitude. Célestin reconnut Claire de Mérange. Son visage était triste. Elle embrassa Hortense Leroy qui la serra contre elle.
— Ma chérie, comment vas-tu ?
— C’est à toi qu’il faut demander cela, après ce grand voyage.
Claire se tourna vers Célestin et fronça légèrement les sourcils.
— Mais… ce n’est pas Maurice ?
— Ils l’ont arrêté dans le train, ils l’ont retrouvé, je ne sais pas comment. C’est terrible. Monsieur me dit qu’on va l’envoyer dans un bataillon disciplinaire…
Elle avait désigné Célestin, lequel s’inclina devant Claire. Il se sentait pataud, sale et puant devant la beauté de cette femme dont il ne connaissait que les malheurs. Il se présenta.
— Célestin Louise. Votre mari était mon lieutenant. Je l’ai vu… Nous étions l’un près de l’autre quand il est mort.
Claire marqua un temps d’arrêt et fixa le jeune homme.
— Il vous a parlé ? Il vous a confié quelque chose ?
— Non. Il est tombé au cours d’une attaque qu’il dirigeait. Ce n’était ni le lieu, ni le moment pour parler. Et d’ailleurs, il n’en a pas eu le temps.
— Il vous avait parlé de moi ?
— Souvent. On a retrouvé ceci…
Il tendit à Claire la montre du lieutenant. Elle la prit, ouvrit le boîtier, reconnut sa photographie. De nouveau, elle scruta Célestin.
— Vous êtes venu pour cette montre ?
— Je suis venu en souvenir de lui : nous étions heureux de servir sous ses ordres.
Claire referma le boîtier d’un coup sec.
— Vous dormirez ici cette nuit.
— Je vous remercie, madame.
Claire appela Bernadette, la cuisinière et femme de chambre, elle donna les ordres pour donner à Célestin la chambre de Maurice.
— Et peut-être lui faire couler un bain ? ajouta-t-elle avec un vague sourire.
C’était dit sans méchanceté et le jeune homme accepta avec soulagement. La domestique s’éclipsa. Pendant ce temps, Joseph et Jacques avaient monté la valise d’Hortense dans les étages. Celle-ci demanda la permission d’aller également faire un brin de toilette dans sa chambre. Quand elle fut montée à son tour,
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