La cote 512
bord d’un chemin, vers la Nouée Verte. Ça en a fait, du scandale ! Évidemment, Kerivin a été le premier soupçonné, mais monsieur Jean s’est porté garant pour lui, il a juré que la nuit du crime, il l’avait accompagné à l’autre bout du canton pour piéger des braconniers. L’affaire a été classée.
Il était clair, au ton du paysan, que l’affaire était, pour lui, loin d’être classée.
— Et Paul de Mérange, comment a-t-il réagi ?
— Il était déjà mobilisé.
Célestin, pensif, enregistrait toutes ces informations quand son regard tomba de nouveau sur le vélo.
— Ce vélo, à la fin, c’est pour quoi faire ?
— Kerivin est un ancien champion, un vrai, ça, on ne peut pas lui enlever ! Il est même arrivé deuxième de Terron, dans le Paris-Brest, il y a dix ans. Il faisait encore une virée dans le coin, de temps en temps.
— Il doit revenir le chercher ?
— Oui, il m’a donné un peu d’argent pour le garder. Mais je devais rien dire à personne.
Célestin en savait assez. Les pièces du puzzle commençaient à se mettre en place.
— Si tu veux mon avis, il y a peu de chances que Kerivin revienne.
Il laissa le paysan et remonta doucement vers la Teisserie. L’heure de midi approchait. Il vit la grosse voiture des Mérange déboucher de la route de l’usine et se diriger vers la maison. Un changement de vitesse à la main avait été aménagé sur le côté afin que Jean puisse conduire malgré sa jambe infirme. Comme il longeait la haie, il surprit des éclats de voix. Du coin de la grille, il aperçut Claire et Jean qui montaient le perron en se disputant.
— Tais-toi, Jean, je ne veux plus t’entendre et je ne veux plus te parler !
— Il faut pourtant que tu saches la vérité, Claire. Paul avait détourné beaucoup d’argent…
— Tais-toi, je t’en supplie ! Et ne parle surtout pas de Paul !
Ils entrèrent, la lourde porte se referma sur eux. Célestin traversa la cour d’entrée et grimpa le perron à son tour. La grande maison, frappée de plein fouet par le soleil rasant, claquait de toutes ses pierres blanches. Un instant, le jeune homme imagina Paul de Mérange, sanglé dans son bel uniforme de lieutenant et saluant sa femme avant de partir se faire tuer. Il se demanda qui pouvait être sa maîtresse, probablement une femme d’un village voisin, ou même du Mans, jeune veuve, demi-mondaine ou épouse délaissée d’un quelconque notable. Une femme qui lui coûtait cher. Il sonna à la porte, Jacques vint lui ouvrir, le repas allait être servi.
Le déjeuner fut glacial. Claire grignota l’entrée et se retira dans sa chambre. Jean de Mérange ne dit pas trois mots. Hortense essaya de parler de musique, puis des domestiques, puis du repas, enfin de son fils, sans grand succès. Finalement, Mérange expédia le dessert et repartit à l’usine. Hortense et Célestin restèrent en tête-à-tête tandis que Bernadette leur servait les cafés.
— C’était beau, votre morceau de piano, ce matin. Je n’y connais pas grand-chose, mais j’ai apprécié.
— Je vous remercie. Ce n’était qu’un simple prélude de Bach.
— Ah… Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais les rapports se sont tendus entre madame de Mérange et son beau-frère. Vous savez pourquoi ?
— Ne faites pas l’hypocrite, monsieur le policier. Vous avez parlé à Claire hier soir, je l’ai vue entrer dans votre chambre, et depuis, elle est toute retournée, elle qui n’était déjà pas vaillante. Alors c’est vous qui allez me dire ce qui s’est passé. Que lui avez-vous annoncé ?
— Son mari a été assassiné.
— Il est mort à la guerre, c’est un drame, ce n’est pas une nouvelle.
— Vous ne comprenez pas : il n’a pas été tué par un Allemand, il a reçu une balle dans le dos tirée par un Français.
Hortense, choquée, reposa la tasse qu’elle allait porter à sa bouche. Elle regardait Célestin avec un mélange d’incrédulité et de dégoût.
— Vous êtes sûr de ce que vous dites ?
— De plus en plus certain, même si Claire de Mérange refuse de me croire.
— C’est ce qu’elle prétend peut-être, mais elle est tout de même bouleversée. Et qui a tué Paul ?
— Il est trop tôt pour le savoir. Monsieur de Mérange était-il heureux, ici ?
Hortense eut un petit sourire triste et leva les yeux au ciel.
— Quelle question ! Il avait tout fait pour séduire Claire,
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