La Cour des miracles
pas dès demain, mère ! Il vous faut encore plusieurs jours de repos…
– Je crois que je pourrai dès demain. Je ne suis pas très forte, mais je suis habituée à la dure… J’étudierai les environs et…
– Ecoutez donc, mère ! fit tout à coup Gillette à voix basse. N’avez-vous rien entendu ?… Là… dans cette pièce…
Margentine vit Gillette toute pâle.
– Je n’ai rien entendu, dit-elle. Rassure-toi, mon enfant… Je suis là !
– Oui, mère ! Et pourtant… Oh ! tenez ! sûrement on vient de marcher… là !
Cette fois, Margentine avait entendu elle aussi !
– Attends ici, dit-elle, en s’élançant vers la chambre où le bruit s’était produit.
Elle en ouvrit brusquement la porte et entra, un flambeau à la main. Un rapide regard la convainquit que cette pièce était vide.
Margentine pénétra alors dans la dernière pièce.
Elle était vide également.
Elle essaya d’ouvrir la porté de la cave, mais cette porte résista, et, à la poussière qui couvrait ses jointures, il était visible qu’elle n’avait pas été ouverte depuis longtemps. Quant à l’escalier qui conduisait à l’étage du haut, il était bouché.
– Nous nous sommes trompées, dit Margentine en revenant auprès de Gillette. Le vent aura secoué un volet…
La nuit se passa tranquillement, et, pendant la journée du lendemain, rien ne vint éveiller les soupçons des deux femmes.
A l’heure du dîner du soir, Margentine, comme la veille, ferma soigneusement la porte et enchaîna les volets des fenêtres. Au dehors, la nuit était noire.
Gaîment, elles se mirent à table.
Margentine était assise le dos tourné à la porte de la chambre vide… Face à elle, Gillette était donc tournée vers cette porte.
Les deux femmes se mirent à causer, comme la veille, de Manfred, de Triboulet et de la possibilité de les rejoindre. Tout à coup, comme la veille, Gillette tressaillit.
– Je vous assure, mère, dit-elle à voix basse, qu’on vient de marcher dans cette chambre…
– Petite peureuse ! répondit Margentine, convaincue qu’il ne pouvait y avoir personne qu’elles dans le pavillon. Rassure-toi donc, puisque je suis là !
Mais elle n’avait pas fini de parler que Gillette jeta un cri, se leva toute droite, blanche de terreur, et de son bras tremblant montra à sa mère la porte de la chambre.
Margentine se retourna, et elle aussi se leva, saisissant un couteau sur la table.
La porte venait de s’ouvrir.
Et une forme noire apparaissait, arrêtée dans l’encadrement. C’était une femme.
– Qui êtes-vous ? interrogea Margentine d’une voix ferme. Hâtez-vous de répondre… sinon, malheur à vous !
– Je ne suis pas une ennemie, répondit la dame en noir ; je suis, comme vous, une malheureuse qui a beaucoup souffert du fait de ceux qui vous font souffrir, Voulez-vous que nous causions ? Je vous jure qu’il n’en résultera aucun mal pour vous.
Margentine, cependant, gardait tout son sang-froid.
– Madame, dit-elle, je veux croire que vous ne nous voulez aucun mal ; mais, avant tout, expliquez-nous par où vous êtes entrée dans ce pavillon.
–
Je n’y suis pas entrée,
dit la dame en noir.
Et elle se hâta d’ajouter :
– Ne donnez à ces paroles aucun sens étrange ; elles signifient simplement que j’étais dans le pavillon avant vous.
– Où cela ?
– Dans les caves. Vous avez en vain essayé hier d’en ouvrir la porte, c’est que je l’avais fermée en dedans au moment ou M lle Gillette a deviné ma présence. Dès hier, je voulais vous parler… je n’ai pas osé… Aujourd’hui il le fallait de toute nécessité, et pour diverses raisons dont la plus pressante est que, grâce à vous, je suis menacée de mourir de faim…
Elle prononça ces paroles avec une gaieté un peu fiévreuse. Puis s’adressant à Gillette :
– Voyons, mademoiselle, ne me reconnaissez-vous pas ? Rappelez-vous la maison de l’enclos des Tuileries… Rappelez-vous le soir où cette maison fut envahie par les gens du roi… C’est moi qui vous cachai, c’est moi qui vous conduisis rue Saint-Denis, vous, le chevalier de Ragastens et la princesse Béatrix.
– Oh ! je vous reconnais maintenant ! s’écria Gillette… Mère… sûrement, madame n’est pas une ennemie pour nous… Elle m’a sauvée.
Margentine s’avança vers Madeleine Ferron, que nos lecteurs ont certainement reconnue. Elle lui prit la main.
– Soyez
Weitere Kostenlose Bücher