La Cour des miracles
d’agir.
– Si nous attendons que le roi revienne à Paris, tout est perdu, madame.
– Assez sur ce sujet, dit Diane de Poitiers d’une voix qui indiqua à son complice qu’elle venait de prendre une terrible résolution.
Jarnac comprit et s’inclina.
– Quand voulez-vous que nous prenions nos dernières dispositions ? murmura-t-il.
– Je vous préviendrai… En attendant, je puis vous dire l’endroit où la chose pourra avoir chance de se tenter avec succès…
Jarnac tendit avidement l’oreille.
– Je crois, acheva Diane de Poitiers, que vous ferez bien de surveiller de près le pavillon des gardes…
– Le pavillon des gardes !
– Oui, j’ai des raisons de penser
qu’il
ne tardera pas à y faire des visites nocturnes… et on pourrait profiter de l’une de ces visites…
– Il suffit, madame ! dit Jarnac en s’inclinant.
Puis il sortit.
Demeurée seule, Diane de Poitiers s’abîma dans une de ces rêveries sinistres où nous l’avons surprise déjà.
Au bout d’une heure de méditation, elle parut s’éveiller, se regarda dans un miroir, y étudia un instant le dessin d’un sourire, puis, appelant une de ses suivantes favorites, elle se rendit chez le dauphin Henri qu’elle trouva bâillant dans l’embrasure d’une fenêtre et tambourinant une marche sur un vitrail, tandis que sa femme, la jeune Catherine, entourée de toute une cour de dames et de gentilshommes, écoutait des ballades que le poète Clément Marot récitait de sa belle voix chaude.
A l’entrée de Diane de Poitiers, Catherine de Médicis prit son visage le plus riant, et d’un signe l’invita à s’asseoir près d’elle, honneur que Diane de Poitiers n’eût pu esquiver si le dauphin ne l’eût aperçue à ce moment et ne se fût écrié :
– Voici mon Egérie !… Venez ça, madame, que je vous dise combien je m’ennuie.
Et, sans plus faire attention ni à sa femme ni à Marot, ni au reste de cette brillante société, le dauphin avait saisi la main de Diane, et l’avait fait asseoir près de lui, assez loin du groupe formé par la cour de poésie que tenait Catherine.
– Vous vous ennuyez, Henri, dit Diane de Poitiers à voix basse ; j’en avais le pressentiment… car je suis accourue après un rêve que je viens de faire…
– Un rêve ? Racontez-le moi. J’adore les rêves, moi.
– Je vous voyais triste… mais d’une mortelle tristesse…
– Cela est assez mon air habituel.
– Oui, mais dans mon rêve, vous aviez un sujet réel d’être si triste.
– Voyons donc le rêve.
– Eh bien, je me promenais dans le parc ; il faisait nuit ; j’étais seule ; j’allais, me semblait-il, à un rendez-vous que vous m’aviez donné…
– Chère Diane !
– Tout à coup, cette idée de rendez-vous se précisa dans mon rêve. Il me parut que j’étais fort en retard, et je fis un effort pour me hâter vers le lieu du rendez-vous qui était, s’il m’en souvient bien, le pavillon des gardes… Mais plus je voulais me hâter, plus je me sentais comme paralysée…
– C’est l’effet ordinaire des cauchemars.
– Oui, mais voici où mon rêve se complique. Ne pouvant courir vers le pavillon des gardes, je vous appelai d’un grand cri, et je vous vis alors sortant d’entre les arbres, mais pâle et défait et sanglotant… Et passant près de moi, vous me dites : « Un grand malheur est arrivé, mon père est mort ! »
– Ah ! ah ! fit le dauphin en considérant sa maîtresse avec plus d’attention.
– A ce moment, poursuivit Diane de Poitiers, je vis venir plusieurs hommes portant un brancard sur lequel était couché le roi. Il avait à la poitrine une affreuse blessure par où tout son sang s’était échappé. Et l’un des hommes me parla comme vous m’aviez parlé, et me dit : « C’est un grand malheur ; on vient de tuer le roi ! »
– Ainsi, non seulement le roi était mort, mais il était mort assassiné ? demanda froidement le dauphin.
– Oui, Henri. Et je songeais dans mon rêve que vous étiez roi de France !
Le dauphin tressaillit.
– Mais, acheva Diane, je vous voyais si triste de cet accident, que je n’arrivais pas à me réjouir de votre élévation au trône… J’entendis crier autour de vous : « Vive le roi Henri ! » et c’est à ce moment que je me suis réveillée…
– C’est, en effet, un rêve bien étrange… On dit que les rêves précèdent parfois la vérité de bien
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