La Cour des miracles
près…
Diane de Poitiers garda le silence et prit un air songeur.
– Si le vôtre devait se réaliser bientôt, reprit Henri, ce serait certes un bien grand malheur… Mais que pouvons-nous contre les décrets du ciel ? Si Dieu m’appelait demain à monter sur le trône de France, je crois que je ferais de grandes choses. Je restaurerais la chevalerie qui s’en va… Je voudrais, par des tournois, me préparer à de grandes guerres où j’irais, secourant les peuples faibles contre les peuples forts… Oui, Diane, vous savez si je ronge mon frein et si je me morfonds dans l’inaction… Car mon père, jusqu’ici, m’a tenu à l’écart de son gouvernement. Ne croyez pas, au moins, que je souhaite la mort du roi… Dieu veuille au contraire prolonger ses jours aux dépens des miens, s’il le faut.
– Moi aussi, je souhaite, de tout mon cœur que mon rêve ne se réalise pas. Moi aussi, je suis prête à donner ma vie pour sauver celle du roi… Mais enfin, si le malheur se produisait… vous seriez roi, Henri !
– Roi ! c’est-à-dire le premier parmi les chevaliers français…
Le dauphin allait peut-être s’exprimer avec plus de précision ; mais il s’arrêta à temps.
Diane avait d’ailleurs touché le fond de sa pensée.
Elle savait que cette idée qu’il pourrait bientôt être roi par suite d’un « accident » survenu à François I er allait germer dans son faible cerveau et y donner les fruits empoisonnés dont elle venait de jeter la semence.
Elle se leva et, sans affectation, alla se mêler au groupe qui entourait Catherine de Médicis.
– Qu’avez-vous donc comploté avec mon époux ? lui demanda celle-ci avec son plus charmant sourire.
– Monseigneur le dauphin m’a confié que s’il n’avait le bonheur de vous avoir près de lui, il serait mort d’ennui depuis longtemps, répondit Diane.
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Chapitre 34 LA CHAMBRE VIDE
C ’était la duchesse d’Etampes qui avait voulu installer elle-même Gillette et Margentine dans leur nouveau logis.
Leur appartement comprenait quatre pièces sur les cinq du rez-de-chaussée.
La porte de l’escalier conduisant aux étages supérieurs avait été condamnée.
Deux chambres – une pour Margentine, une pour Gillette – se touchaient.
Une troisième devait servir de parloir ou salon. La quatrième était une salle à manger avec un âtre pour faire la cuisine.
Quant aux deux pièces du rez-de-chaussée qui n’avaient pas été aménagées, Margentine les visita aussi.
Dans la dernière, il y avait une porte.
– C’est la porte des caves, expliqua la duchesse ; mais on n’y descend plus depuis bien longtemps…
La duchesse ajouta :
– La servante qui vous sera attachée fera son affaire de la cuisine.
– Il n’est pas besoin de servante, dit Margentine.
– Qui donc s’occupera des soins de votre appartement ?
– Moi, dit Margentine ; je puis bien servir ma fille et moi-même, et je veux que nul n’entre ici.
– Sans doute, sans doute ! fit la duchesse qui, une heure plus tard, alla trouver le roi et lui dit :
– Elles sont dans le pavillon, et je me suis arrangée pour qu’il n’y ait même pas de servante chez elles. Les volets de la fenêtre de gauche sont disjoints… on peut facilement entrer par là, et on se trouve alors dans une pièce où il y a deux portes… L’une, celle qui est à gauche de la fenêtre, donne sur les caves ; mais l’autre, celle qui est en face de la fenêtre, donne sur la chambre occupée par la mère.
Cette première soirée fut un véritable enchantement pour Gillette et Margentine. Avec un peu d’imagination, elles pouvaient se croire libres en quelque maison de campagne isolée au fond des bois.
Margentine avait fermé porte et fenêtres.
Elle se sentait en parfaite sûreté.
Gillette prit le rouet.
Et Margentine la regarda faire avec une admiration extasiée.
– Comme tu as de jolies mains, dit-elle… Tes doigts sont fins et fuselés comme des doigts de princesse…
Gillette sourit.
– Quand je pense, reprit la mère, que j’ai pu vivre si longtemps sans toi ! Je crois bien que je mourrais sur le coup si on nous arrachait maintenant l’une à l’autre…
– Chère mère ! Ne pensons pas à des choses aussi cruelles… Pensons plutôt à préparer notre évasion d’ici… car nous sommes de vraies prisonnières.
– Il n’est que trop vrai… Ecoute, dès demain, si je puis marcher, je sortirai…
– Oh ! non,
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