La Cour des miracles
sous le feu de cette ardeur, sous ces regards brûlants et désespérés, peut-être devant la menace de se tuer, vous avez cédé, vous avez aimé, vous avez adoré avec passion l’homme qui dès l’instant où vous lui aviez appartenu, ne songeait plus qu’à la bonne plaisanterie qu’il pourrait vous faire, en vous abandonnant ! Est-ce bien cela ?…
– Mot pour mot ! s’écria Margentine, palpitante.
– Je reconstitue facilement votre histoire parce que c’est celle de beaucoup de malheureuses que cet homme a poussées au désespoir…
Margentine la regardait, tourmentée par le besoin de lui poser une question qu’elle n’osait formuler…
Enfin, se décidant :
– Cette histoire, fit-elle en hésitant, peut-être est-ce aussi la vôtre ?…
– Oui ! dit nettement Madeleine.
Madeleine reprit :
– Oui, c’est mon histoire, et comme toutes les histoires d’amour se terminent gaiement avec le roi, voici ce qu’il a imaginé pour égayer la mienne : il a remis à mon mari la clef de la maison où nous devions nous voir un soir et lui a indiqué l’heure du rendez-vous !…
– Horreur !
– Mon mari vint ! continua Madeleine en éclatant d’un rire nerveux, mais il se fit accompagner par le bourreau. Et si mes ossements ne reposent pas en ce moment dans le charnier de Montfaucon, c’est grâce à un hasard qui tient du miracle.
– Horreur ! répéta Margentine.
– Et vous ?… Qu’a-t-il imaginé pour vous quitter ?
– Ce fut atroce, murmura Margentine d’une voix sourde. Le soir où ma fille vint au monde… le soir où, presque mourante, j’agonisais sur ma couche, lui, dans une pièce voisine, se livrait à l’orgie… j’entends sa voix… je pus me lever… et lorsque j’ouvris la porte de la salle du festin, je le vis qui levait son verre en riant et qui embrassait une femme assise sur ses genoux…
– Oui, fit lentement Madeleine, ce n’est pas mal imaginé… Je le reconnais bien à ce coup.
Enfin Madeleine Ferron se leva et souhaita le bonsoir à Margentine.
– Dormez sans crainte, acheva-t-elle.
Alors elle se retira dans la chambre du canapé, tandis que Margentine passait dans la sienne.
Madeleine Ferron, cependant, descendit dans la cave.
Sur ses ordres, le valet du château, qu’elle avait soudoyé à prix d’or, avait placé dans cette cave tous les objets dont elle avait prévu qu’elle pourrait se servir.
C’est ainsi que, sur la petite table, il y avait des feuilles de papier, de l’encre, des plumes. Sur l’une de ces feuilles, Madeleine écrivit quelques mots, puis plia et cacheta.
Puis elle écrivit l’adresse suivante :
– Monsieur le chevalier de Ragastens, à l’auberge du Grand-Charlemagne.
Alors elle remonta et, entr’ouvrant doucement la fenêtre, examina les environs. Mais la nuit était trop profonde. A deux pas, on n’y voyait rien.
– Comment faire ?… murmura-t-elle.
Elle avait espéré que le domestique reviendrait errer autour du pavillon. Mais sans doute cet homme avait pris peur et il était peu probable qu’il se montrât.
– Il faut pourtant que cette lettre arrive ! songeait Madeleine.
Elle referma la fenêtre et entra dans la chambre de Margentine.
– Ecoutez, dit-elle, pouvez-vous pendant une heure veiller seule ?
– Toute la nuit s’il le faut.
– Bien. Pendant mon absence, installez-vous donc dans ma chambre, près de la fenêtre. Si on vient, il suffira je pense, que vous fassiez du bruit, et au besoin que vous profériez quelque menace. Car je suis sûre que le larron compte vous surprendre pendant votre sommeil…
– Vous allez donc vous absenter ?
– Oui. Il faut que quelqu’un soit prévenu de ce qui se passe ici… quelqu’un qui peut vous être d’un grand secours…
– Allez donc ! et puissiez-vous réussir !…
Madeleine, alors, redescendit dans la cave, et, en quelques instants, se dépouillant de ses vêtements de femme, s’habilla en cavalier.
– Lorsque je reviendrai, dit-elle à Margentine, je frapperai trois coups espacés, sur le volet et je prononcerai votre nom et le mien à voix basse…
– Votre nom ! fit doucement Margentine ; vous ne me l’avez pas encore dit…
– Je m’appelle Madeleine…
– Madeleine… un nom que je n’oublierai jamais !
Madeleine déjà avait ouvert la fenêtre, scruté les alentours d’un coup d’œil perçant, puis elle avait légèrement sauté à terre et avait disparu dans
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