La Cour des miracles
l’impossibilité de l’évasion…
Il y eut un grand quart d’heure de silence pesant, pendant lequel les pensées de Monclar évoluèrent, roulèrent comme des nuées d’orage, et enfin, la rêverie aboutit à cette question
nouvelle
qui fit frissonner le grand prévôt :
– Mais, au fait, comment connaît-il ces détails ?
Alors, lentement, il ramassa la lanterne, fit manœuvrer les verrous, ouvrit la porte et pénétra dans le cachot de Lanthenay…
Monclar dirigea le jet de lumière de sa lanterne sur le visage de Lanthenay et le regarda, nous pourrions dire l’étudia, avec une avidité telle que son cœur battait à grands coups.
Lanthenay, cependant, l’examinait ardemment.
Son premier regard fut un regard de haine absolue, de haine mortelle, de haine furieuse.
Et sa première parole fut :
– Assassin !
Monclar avait posé sa lanterne et s’était avancé de deux pas.
Le mot « assassin ! », il ne l’avait pas entendu.
Il s’approcha, disons-nous, et d’une voix sourde qui contenait un monde d’angoisse, il demanda :
– Ces questions que vous avez posées au geôlier… tout à l’heure…
Il s’arrêta, n’osant pas,
ne sachant pas
ce qu’il allait dire.
– Terreur et folie ! songeait Lanthenay. Est-ce que je ne rêve pas ! Est-ce que ma raison ne va pas sombrer ici !… Quoi !
C’est là mon père !…
Mon père… Mon père qui vient voir si je suis bon à jeter au bourreau !
Un sanglot déchira sa gorge.
– Vous pleurez ! fit Monclar d’une voix dont la douceur l’épouvanta.
Ah çà ! que se passait-il donc ?
Et il se trouvait bouleversé par ce sanglot !
Lui !… Lui !…
Haletant, torturé, brisé par un sentiment pour lequel il n’y a pas d’expression,
puisque ce sentiment ne répondait à rien de positif et de normal,
le comte de Monclar reprit :
– Ces questions… ces questions posées au geôlier… dites… voulez-vous me les poser à moi…
Lanthenay demeura une longue minute sans répondre.
Ce n’est pas qu’il ne sût que dire…
Mais tant de choses se pressaient sur ses lèvres !…
Enfin, il parla :
–
A
vous !…
oh ! ce ne sont pas des questions…
A
vous !…
c’est une description que je veux faire !…
– Une description ! haleta Monclar.
– Là-haut… une chambre… une grande belle chambre tendue de vieilles tapisseries… L’une des tapisseries représente les quatre fils Aymon… Une autre représente Roland avec sa bonne épée… Les deux autres… oh !… les deux autres… je ne sais plus…
Hypnotisé, livide, secoué d’un tremblement convulsif, le front couvert de sueur, Monclar écoutait.
Lanthenay continua :
– Il y a de grands fauteuils en bois noir dont les bras sont figurés par des chimères et dont les dossiers portent un écusson… L’écusson… je le vois… non… je ne sais plus…
– Après ! Après ! râla Monclar, vacillant.
– Deux fenêtres… elles ouvrent sur un vaste jardin… elles sont ouvertes… le soleil entre à flots, avec des parfums de roses… car il y a dans le jardin toute une longue allée bordée de roses…
– Après ! oh !… après !…
– On a tiré l’un des fauteuils près de la deuxième fenêtre ; tout près… je dis bien… oui, la deuxième fenêtre… en entrant par le cabinet… En arrière du fauteuil tombe le rideau de la fenêtre… un rideau de soie brodée… sur le fauteuil est assise une femme… oh ! elle est jeune, si belle… si radieuse… Un peintre est là qui travaille à son portrait… Un homme est entré… il a baisé au front la jeune femme… et elle !… elle l’a regardé avec amour… puis l’homme a examiné le travail du peintre… il lui a fait des éloges en souriant… puis il est entré dans son cabinet… après avoir tapoté les joues de l’enfant… Et l’enfant s’appuie contre sa mère… et l’enfant… oh !… il sourit de toute son âme… il est heureux… heureux comme jamais, depuis, il ne l’a été… jamais !…
Car il n’a plus que son père
maintenant… Et alors… il avait sa mère…
ma mère !
–
Mon fils !
Ce mot sortit à grand’peine, comme un souffle, des lèvres tuméfiées de Monclar… Il voulut s’avancer, titubant, ivre, fou, en plein délire… Mais, au premier pas, il s’abattit comme une masse, blême, inanimé… mais le visage transfiguré, la bouche détendue en un sourire d’extase !…
Lanthenay fit un surhumain
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