La couronne dans les ténèbres
Le port grouillait de toutes sortes d’embarcations : de simples barques, des cogghes et les imposants et profonds vaisseaux de haut-bord des marchands de la Hanse. A l’aide de petits treuils, on chargeait et déchargeait ballots, tonneaux, coffres et volumineux sacs en cuir. Un vacarme d’ordres lancés, de cris, de bruits divers et de jurons étranges s’élevait chaque fois que des navires arrivaient ou se préparaient au départ. Sir James n’y prêta aucune attention et, indifférent aux malédictions et quolibets qui le suivaient, guida ses compagnons le long du quai en criant aux gens de faire place. Finalement, ils trouvèrent le Saint Andrew , un gros navire de guerre à la coque arrondie en forme de baquet. Les bords de ce cogghe se dressaient haut au-dessus du quai, sa poupe portait une plate-forme de combat crénelée — ou château — qui protégeait archers et soldats pendant la bataille, et son énorme mât unique avait sa grand-voile repliée sous la hune où se tenait habituellement la vigie. Sir James héla le navire et annonça à l’équipage son intention de monter à bord ; on abaissa alors une large passerelle. Il ordonna à l’un de ses gardes de rester à terre et de s’occuper des chevaux, puis Corbett et lui, accompagnés du reste de l’escorte, gravirent prudemment la passerelle et mirent pied sur le bateau bourdonnant d’activité. Les marins allaient et venaient en se bousculant. Corbett comprit que le cogghe n’était que récemment rentré au port en voyant l’équipage s’affairer à nettoyer le pont. Il aperçut une large trace de sang et devina que le vaisseau avait dû essuyer une des nombreuses escarmouches qui se produisaient en mer, car les navires de différentes nations — la Norvège, le Danemark, l’Angleterre, l’Écosse et la France — croisaient dans ces eaux pour la pêche, le commerce et la piraterie.
Un jeune homme roux, vêtu d’une broigne de cuir, de jambières et de bottes, s’avança vers Corbett et lui parla avec un accent tel que ce dernier n’eut même pas l’espoir de le comprendre. Selkirk, en revanche, se fit parfaitement entendre. L’homme, intrigué, jeta un coup d’oeil perçant à Corbett et s’apprêtait à refuser lorsque Selkirk lui montra son mandat frappé du sceau de Wishart. Le capitaine — car c’était bien lui, comme l’avait supposé le clerc — déversa un chapelet de jurons en différentes langues, qui ne laissèrent aucun doute à Corbett sur ce qu’il pensait de la mission. Il commença, néanmoins, à hurler des ordres. On débarrassa le pont, des matelots, agiles comme des singes, se mirent à escalader le gréement et à dérouler la voile tandis que deux hommes s’élançaient sur le château d’arrière pour manoeuvrer l’énorme gouvernail. Au bout d’un moment, le capitaine, rasséréné, emmena Selkirk et Corbett dans sa cabine, située sous le gaillard d’avant, une pièce exiguë et inconfortable qui puait le goudron et le sel et abritait un simple lit de camp, un coffre, une table et des tabourets. Peu habitué au roulis et à la faible hauteur des poutres, Corbett se cogna la tête en se redressant. La douleur fut vive, mais le capitaine, tout en riant de cette mésaventure, lui offrit un gobelet de vin étonnamment bon afin de l’apaiser et, comme le dit Selkirk, de fortifier son estomac pour le voyage à venir. Moins d’une heure après leur embarquement, le Saint Andrew avait manoeuvré et s’apprêtait à traverser le Firth of Forth. La douleur de Corbett s’apaisait, mais ce n’était que pour faire place à une nausée grandissante due au roulis et au tangage. Selkirk s’amusait de voir l’Anglais en difficulté.
— Allons, Messire, lança-t-il jovialement. Vous feriez mieux de monter sur le pont si vous devez être malade. Pas question de vomir ici et d’incommoder notre hôte. Sans compter qu’il doit attendre vos instructions.
Corbett jura à voix basse, mais suivit Selkirk et regagna le pont par l’échelle. L’immense voile, déployée à présent, était gonflée par de fortes rafales tandis que le cogghe se dirigeait vers la côte lointaine en se laissant dériver dans le courant et en dessinant un arc de cercle. Le Firth of Forth était plus large à cet endroit qu’il ne l’était à Dalmeny et si le temps n’avait pas été aussi dégagé, Corbett se serait cru en pleine mer. Le capitaine leur montra une carte rudimentaire tracée sur un grossier
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