La couronne dans les ténèbres
Corbett l’étudia attentivement et émit un petit grognement de satisfaction avant de la rendre à l’évêque, et de se lever.
— Monseigneur, dit-il, je vous remercie de m’avoir consacré votre temps et apporté votre aide. Pourrais-je poser une autre question à Sir James Selkirk ?
— Allez-y ! lança Wishart en haussant les épaules.
— Je crois, commença Corbett en se tournant vers Selkirk, que vous avez été envoyé par l’évêque Wishart, tôt le matin du 19 mars, pour vous assurer que rien n’était arrivé au roi. Vous avez utilisé les services du passeur à Dalmeny, pris des chevaux dans les écuries royales d’Aberdour et vous vous êtes dirigé vers Kinghorn. C’est alors, n’est-ce pas, que vous avez retrouvé le corps du roi sur la plage ?
Le chevalier bougonna :
— Oui. C’est ce qui est arrivé. Il n’y a rien d’extraordinaire là-dedans, n’est-ce pas ?
— Oh que si ! rétorqua doucement Corbett. Était-ce là votre habitude que de passer derrière le roi pour vous assurer qu’il ne lui était rien arrivé ? Et si vous galopiez sur le sentier de la falaise de Kinghorn, comment diable avez-vous pu voir son corps qui gisait sur les roches en contrebas ?
Selkirk saisit durement le poignet de Corbett.
— Je ne vous aime pas, Messire l’Anglais, souffla-t-il d’un air menaçant. Je n’aime ni votre arrogance, ni vos questions, et s’il ne tenait qu’à moi, j’aurais tôt fait d’arranger un accident ou de vous faire jeter dans un cachot jusqu’à ce que nul ne se souvienne de vous.
— Selkirk ! intervint sèchement Wishart. Vous vous oubliez ! Vous savez qu’il existe une réponse aux questions de ce clerc, alors pourquoi ne pas la donner ?
Selkirk relâcha son étreinte et se rassit brusquement.
— Le roi avait l’habitude, expliqua-t-il, de se lancer dans de folles chevauchées à travers le royaume. Ce n’était pas la première fois et, s’il avait vécu, ce n’aurait sûrement pas été la dernière. Le roi se déplaçait constamment. On aurait dit qu’il avait le diable au corps. Il ne tenait pas en place. Monseigneur, continua-t-il en désignant son maître, m’envoyait souvent sur les traces du roi pour m’assurer que rien ne lui était arrivé. Maintes fois, j’ai retrouvé des membres de la Maison royale en train de se reposer, leurs chevaux à bout de souffle et eux-mêmes souffrant d’une blessure ou d’une autre. Je ne m’attendais à rien d’autre lorsque Monseigneur m’ordonna de rejoindre le roi, le matin du 19. Accompagné de deux hommes d’armes, j’ai traversé le Firth of Forth à Dal-meny et ai pris des chevaux aux écuries royales d’Aberdour. Vous connaissez peu l’Ecosse ou la mer, Messire. Le temps de passer le Firth of Forth, c’était l’aube et marée basse. Nous n’avons donc pas emprunté le sentier de la falaise, mais chevauché le long de la plage. La tempête s’était apaisée, la matinée était belle et nous avions des chevaux frais. Nous avons galopé sur le sable et j’ai compris ce qui était arrivé bien avant d’atteindre les rochers où s’était écrasé le roi. J’ai vu la masse blanche de la jument morte, Tamesin, et la cape pourpre d’Alexandre, gonflée par le vent. Le roi gisait parmi les rochers et il était évident qu’il avait trépassé. Il était tombé entre deux rocs aux arêtes vives contre lesquels la forte houle avait fracassé son corps. Son visage n’était qu’une plaie et il avait la nuque brisée. S’il n’y avait pas eu ses habits et ses bagues, j’aurais hésité à le reconnaître.
— Et la jument ? s’enquit Corbett.
— Pas belle à voir ! répondit Selkirk. Elle aussi était couverte de plaies ; elle avait deux pattes cassées et la tête complètement tordue. Nous avons retiré le harnais et fabriqué une bière rudimentaire pour la dépouille du roi. Puis nous sommes retournés à Aberdour, d’où une barque royale a ramené le corps de l’autre côté du Firth of Forth.
— Donc, reprit Corbett, vous n’êtes jamais allé sur la falaise, jusqu’à Kinghorn Ness, et vous n’avez pas examiné l’endroit d’où le roi est tombé ?
— Non, répondit lentement Selkirk. Mais d’après l’endroit où il s’est écrasé, nous avons déduit qu’il avait dû chuter du sommet du sentier, là où celui-ci commence à descendre vers le manoir de Kinghorn.
Corbett eut un sourire diplomatique.
— Alors, je vous dois mes
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