La couronne dans les ténèbres
Vous connaissez Messire Corbett, l’envoyé anglais ?
De Craon esquissa une ombre de salut.
— Je pense que tout le monde connaît Messire Corbett, rétorqua-t-il, avec ses sempiternelles questions et son don pour fourrer son nez dans les affaires qui ne le concernent pas. De quoi s’agit-il cette fois, Messire l’Anglais ?
— Monseigneur l’évêque de Glasgow, répondit Corbett, m’a chargé de demander audience auprès de Lady Yolande afin de clarifier certains détails relatifs à la mort de son époux, le roi Alexandre III d’Écosse.
— Certains détails ! s’écria de Craon. Je connais vos façons de fureter partout, Messire ! Vous êtes déjà venu à Kinghorn, et la reine vous a gracieusement accordé une entrevue au cours de laquelle vous avez osé la bouleverser. Elle a refusé de vous voir une seconde fois et elle ne vous verra pas davantage aujourd’hui !
Corbett croisa le regard dur de l’envoyé français et comprit qu’il était inutile d’insister. La galère était bien armée et il y avait peu de chances pour que Sir James lui prêtât main-forte. Quelle ne fut donc pas sa surprise lorsque Selkirk prit la parole.
— Monsieur* de Craon, vous vous trouvez dans nos eaux territoriales. Lady Yolande fut l’épouse d’un roi d’Ecosse. Nous sommes porteurs de mandats du Conseil de régence d’Ecosse et vous nous traitez avec mépris ! Si vous le désirez, vous pouvez poursuivre votre chemin, mais nous rendrons compte de votre grossièreté et de votre obstination au roi Philippe IV de France qui ne sera guère ravi de voir de futures négociations délicates entravées par le manque de savoir-vivre de l’un de ses diplomates !
Selkirk se tut et Corbett vit de Craon accuser le coup et passer rapidement en revue les choix qui s’offraient à lui.
— Monsieur* de Craon, déclara Corbett avec tact, je vous assure que je ne veux nullement offenser Lady Yolande. Je vous prie seulement de me laisser lui parler quelques instants, et ensuite, si vous le permettez, j’aimerais m’entretenir avec vous. Tout cela restera entre nous, conclut-il. Ces propos resteront confidentiels, je vous le promets, et il ne vous sera fait aucun affront.
De Craon lança un regard sombre à Corbett et haussa les épaules, trahissant ainsi son embarras.
— Très bien, marmonna-t-il. Vous pouvez parler à Lady Yolande, mais pas dans sa cabine, ajouta-t-il avec un geste d’avertissement. Ici, sur le pont, et quelques instants !
Corbett acquiesça et de Craon disparut un moment.
Le clerc entendit des éclats de voix, en français, et devina que Lady Yolande protestait vigoureusement contre le fait de devoir le rencontrer. Mais les talents diplomatiques de De Craon l’emportèrent et Lady Yolande, superbe dans ses somptueuses fourrures, monta sur le pont et d’un geste hautain appela Corbett auprès d’elle. Celui-ci adressa un petit sourire et un signe de remerciement à Selkirk avant de s’approcher.
L’arrogante princesse refusa de s’exprimer en anglais, aussi Corbett dut-il recourir à toute son habileté pour mener la conversation en français tout en se gardant d’offenser la reine.
— Madame, commença-t-il, je ne vous poserai qu’une question, mais avant que vous y répondiez, je dois vous dire que je suis pleinement au courant de tous les détails délicats de vos relations avec le défunt monarque.
Il vit les yeux de la jeune femme s’agrandir sous l’effet de la surprise.
— Je vous assure, ajouta-t-il hâtivement, qu’il n’y aura qu’une seule question.
— Allez-y ! s’écria-t-elle sèchement. Posez cette question ! Finissons-en !
— La nuit où le roi est mort, reprit Corbett, on a reçu au manoir un message concernant sa venue. Vous l’attendiez donc, n’est-ce pas ?
Lady Yolande fit signe que oui, le regard rivé sur Corbett.
— Bien, continua le clerc, le roi n’est pas parvenu à Kinghorn, mais son écuyer, Patrick Seton, lui, est bien arrivé. Donc, vous vous êtes certainement inquiétée de ne pas voir votre époux le suivre. Vous avez sûrement pensé qu’il avait dû avoir un accident. Dans ce cas, pourquoi n’avoir pas envoyé Seton ou des membres de votre maison à la recherche de votre époux ?
— Pour une raison très simple, répondit la princesse française. Seton est bien arrivé à Kinghorn. Cet homme ne m’a jamais plu et je savais qu’il me haïssait. Je l’ai renvoyé aussi vite que possible et ai appris,
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