La couronne dans les ténèbres
parchemin marron, et leur donna des explications avec son accent guttural, désignant, de son doigt épais, la côte du Fife, le manoir de Kinghorn et l’endroit où les Français pouvaient accoster pour embarquer des gens sur une plage.
— Que raconte-t-il ? demanda Corbett.
Selkirk haussa les épaules.
— Il n’y a pas de port à Kinghorn, mais la côte abrite une multitude de villages de pêcheurs et des anses où la reine Yolande pourrait se rendre pour attendre son bateau. Il suffit de longer la côte jusqu’à ce que nous apercevions le navire lui-même.
Selkirk regarda le ciel qui s’assombrissait.
— La nuit va bientôt tomber, reprit-il, et nous n’allons plus y voir grand-chose. Le capitaine nous a promis d’atteindre la côte avant l’aube et de la suivre jusqu’à la mer. C’est notre seul espoir.
Puis il s’entretint un moment avec le capitaine en une langue qui, l’expliqua-t-il plus tard, était de l’erse, la langue des îles écossaises. Corbett et lui regagnèrent ensuite la cabine.
Corbett passa alors une des nuits les plus affreuses, certainement, qu’il eût jamais connues. Le capitaine lui donna un bol de ragoût qu’il ne put avaler qu’en l’accompagnant de grandes rasades de vin. Selkirk lui lança un manteau en lui disant de s’installer aussi confortablement que possible. Il dormit par à-coups, se réveillant plusieurs fois pour se traîner sur le pont et vomir son repas dans la mer, sous les quolibets des hommes de quart. Finalement, il décida de rester là, accroché au bord, et de regarder l’aube poindre. Le capitaine tint parole. Le cogghe atteignit la côte juste après le lever du soleil et commença à la longer en direction de la mer en suivant un cap sud-est. Leur tâche s’avéra moins difficile que ne le craignait Corbett. Les matelots hélèrent un bateau de pêche et apprirent ainsi qu’un navire français avait été vu la veille en train de remonter le Firth of Forth. Il ne leur restait plus alors qu’à savoir bien profiter de la force du vent. Les marins se mirent à descendre et à grimper dans le gréement pour ajuster la voile et capter ainsi la moindre brise, le moindre souffle d’air tandis que des vigies se postaient sur la hune.
La routine s’installa sur le vaisseau jusqu’à ce que les cris des guetteurs ramènent Selkirk et le capitaine sur le pont. Le Saint Andrew avait contourné un promontoire et pénétré dans une petite anse où une grande galère à deux mâts s’apprêtait à mettre à la voile.
— Qu’allons-nous faire à présent ? demanda Corbett.
— L’arraisonner ! rétorqua sèchement Selkirk, qui, tandis que le Saint Andrew se plaçait le long de la galère, ordonna au capitaine de hisser l’étendard royal à la poupe, au cas où les Français les prendraient pour des pirates.
Debout sur le gaillard d’avant, Selkirk héla la galère en écossais et en français. Une pluie de cris et de quolibets lui répondit, à tel point que Corbett se demanda si le vaisseau n’allait pas refuser d’être arraisonné et continuer sur sa lancée pour gagner le large. Il rejoignit Selkirk à la proue et observa les silhouettes qui couraient en tout sens sur le pont du navire français.
— De Craon est là-bas ! s’écria Selkirk d’une voix rauque en désignant un personnage debout au centre de la galère, juste entre les deux mâts.
Les vaisseaux étaient côte à côte à présent, séparés seulement de quelques pieds sur les eaux agitées. Le cogghe écossais avait amené sa voile tandis que les rames de la galère étaient levées. Selkirk interpella l’envoyé français par son nom, une conversation plus courtoise s’ensuivit et le Saint Andrew fut autorisé à venir bord contre bord. Corbett et Selkirk, accompagnés de quatre hommes d’armes, dégringolèrent gauchement une échelle de corde et furent hissés à bord par les rameurs français, au prix de quelques jurons étouffés. De Craon, escorté de soldats presque entièrement armés, vint à leur rencontre.
— Sir James Selkirk ! s’exclama-t-il. Que me vaut l’honneur de votre visite ? Y a-t-il quelque problème ? Notre souverain, le roi Philippe IV, ne sera guère heureux d’apprendre que ses navires ne peuvent, sans obstacle, entrer ni sortir des ports écossais !
— Il n’y a pas d’obstacle ! répliqua Selkirk. Nous aimerions simplement avoir une conversation avec vous et vous nous l’accorderez très gentiment.
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