La couronne et la tiare
il avait pu éprouver de l’amour ou de l’admiration. Mais un homme bougea parmi les capitaines. Un homme qui s’était longuement entretenu avec une jouvencelle en robe pourpre, et qui semblait, elle, ne r ien craindre du froid.
« Arnaud de Cervole… Hautain, toujours quointoyé (391) comme un prince ; toujours aussi losengier (392) avec les dames et sûr de plaire sans peine… Dans quelle armée sera-t-il ?… Sans doute a-t-il passé la nuit à foutre cette fille qui s’accroche à son bras. »
– Avez-vous ouï, m’amie, ce que Jean de Grailly vient de dire ? Dans deux jours nous serons de retour à Vernon. Je romprai définitivement avec Charles et pourrai me consacrer à vous…
Ce ne pouvait être Jeanne de Châteauvilain, mais une nouvelle conquête. Aucun doute non plus pour le plus important : comme à Poitiers, comme à Brignais comme toujours, l’Archiprêtre trahissait.
Tristan porta la main à son poignard. L’envie de bondir, de se précipiter sur cet homme et de l’occire était si forte qu’il gémit. Mais nul ne l’entendit tant on parolait et riait.
– Je prendrai ce Guesclin à visage de dogue affirma le captal. Et si vous y tenez, je vous l’amènerai pieds et poings liés.
– Holà ! intervint l’Archiprêtre. Quoiqu’un Breton ne soit pas si vif et si alerte qu’un Gascon, croyez-moi : celui-là n’est pas si aisé à saisir que vous l’imaginez. Vous en jugerez par vous- même, et vous aurez besoin de tout votre courage et de toute votre apperteté 135 pour vous défendre de lui ou pour l’attaquer !
– Il vous fait de l’ombre, dirait-on !
– Si vous ne le meurtrissez pas ces jours-ci, défiez-vous-en pour jusqu’à la fin de vos jours… car cette fin il pourrait bien vous la donner !
– Je le prendrai, vous dis-je !… Je l’essorillerai et autre chose en plus !
– En moins, voulez-vous dire ! fit un des capitaines.
– En moins, Robin Scot, tu l’as dit. Et je le renverrai à sa belle Tiphaine.
– On la dit fort belle, en effet… et d’esprit avisé.
– Vous le savez, Jeanne, les femmes trop belles et de grand esprit n’aiment point trop qu’on les mignotte. C’est un mariage blanc que celui de Guesclin… Quand il a bien contemplé sa dame, il s’en va trousser les servantes, et s’il n’y en a pas, il use de sa dextre à moins qu’il ne trouve une chèvre.
Quelques gloussements faussement indignés retentirent, puis il n’y eut plus rien, plus un mot, plus un geste, et Tristan se demanda quels étaient ces capitaines qui maintenant, paraissaient vouloir s’en aller. La tête penchée, attentive et fervente, la reine Jeanne écoutait les chuchotements du captal en faisant avec lenteur, dans des mains demi-closes, glisser les gros anneaux de son pentacol orfévré. Était-ce parce qu’elle aimait passionnément le captal qu’elle tremblait et courbait soudainement son cou pour lui cacher ses pleurs ?
– Il est temps, m’amie, que nous partions… Sacquenville, Scot, Rosiaux, occupez-vous des chevaux… Vous, Mortemer et Mareuil, voyez si nous n’avons rien oublié… Nul ne sait que nous sommes à Vernon, mais je crains les embûches comme celle que nous a tendue Guillaume du Merle (393) .
Un palefrenier apparut, tenant deux coursiers au frein. Un homme lui en prit un et sauta en selle. Cervole donna un baiser bref mais appuyé à la jouvencelle en robe pourpre.
– Je vous regracie, messire l’Archiprêtre, dit Jeanne, d’avoir tenu votre promesse d’être aux côtés de Jean…
– Nous sommes du même pays ou presque, dame. Pour ainsi dire : de la même famille. Comment voudriez-vous que nous nous détestions ?
Et, tourné vers la jouvencelle qu’il avait baisée si ardemment :
– Je songerai à vous, ma belle… J’emporte avec moi – esprit et cœur – le regard de vos yeux et l’éclat de vos lèvres.
Tristan ne pouvait voir le visage de Jeanne tourné vers la jeune fille. Il pensa qu’elle souriait comme une mère eût souri à sa pucelle en présence du fiancé qu’elle lui destinait. Qui était-elle ? Une bannerette ou quelque servante endimanchée ?
Il y eut un galop, des lèvements de mains. L’Archiprêtre disparut sans qu’on eût pu prédire quels chemins il emprunterait pour se placer hypocritement au service de la France. Peut-être Paindorge, Tiercelet et Matthieu assisteraient-ils à son passage et remédieraient-ils à cette carence dont leur compère
Weitere Kostenlose Bücher