La couronne et la tiare

s’ébaudir. C’est l’Archiprêtre.
Si tu en es si sûr, c’est qu’il a changé de maître.
    – C’est un traître avéré. On le disait en Lorraine, en Bourgogne…
Le voilà en Normandie.
    – Tu ne peux deviner combien je hais cet homme !… Agar (387)  ! Il a l’apparence d’un prince (388) . Je jurerais qu’il a des rubis cousus sur ses vêtements.
    –  Ces joyaux, vus de près, ressemblent à du sang.
    – Peut-être a-t-il été contraint de batailler avant de venir voir ces belles.
    – Sa présence à Vernon ne saurait m’étonner. A Poitiers, à Brignais, il a trahi la France. Il s’apprête à recommencer. Tu le verras bientôt dans une de nos batailles et tout d’un coup, il en disparaîtra… J’aimerais que le royaume ait une grande armée. Si grande que ce félon ne puisse s’en dépêtrer pour aller se musser quelque part, voire chez nos ennemis.
    – Quand nous étions à Paris, on disait – t’en souviens-tu ? – que Philippe le Hardi allait venir épauler son frère Charles… Y crois-tu ? Le jeune prince est trop occupé en Bourgogne (389) .
    – Regarde plutôt, Tiercelet, la reine Jeanne au bras du captal.
    – Doit mouiller comme une jeunette !
    – Jeannette !
    Ils rirent. On entendait roucouler Jeanne. Elle était heureuse au bras de Jean de Grailly dont un homme menait le cheval par la bride.
    –  Il a comme Édouard III une barbe à deux pointes.
    – Plus courte… Jeanne le baise sur la bouche.
    – Il ne se défend point contre cet assaut-là.
    C’était bien là une étreinte d’amoureux. Une étreinte qui merveillait les capitaines et particulièrement ce grand maufaiteur d’Archiprêtre. Il venait de s’arrêter. Du haut de son cheval il assistait à cet acompte – ou plutôt cette avance amoureuse qui laissait espérer à son compagnon des prodigalités et largesses que peut-être il désespérait d’obtenir.
    A l’automne de la vie, les baisers ont beau être donnés par des lèvres royales, ils ne sauraient forcer une victoire en grand champ. L’épée supplante le braquemart, si j’ose dire… Après le grand lit clos, le grand lit de justice !
    – Si le captal meurt, il aura au moins passé une bonne nuit peu avant d’expirer.
    – Si elle a jeûné longtemps, elle doit avoir un appétit terrible. Or çà, plutôt que de l’envier, je me sens prêt à plaindre le captal.
    Sur le devant du château, il ne restait qu’un chien qui en franchit vivement le seuil.
    – Il n’a pas flairé notre présence.
    Le pont remontait, la herse retomba dans un fracas qui fit tressaillir Tristan.
    – Rejoins nos compagnons, dit-il à Tiercelet. Il ne me reste qu’à attendre le départ de ces malandrins. Peut-être l’un d’entre eux vendra-t-il quelque mèche…
    – Il est vrai, dit le brèche-dent, que je n’ai rien à faire auprès de toi. Tiens, prends ma pelisse… N’oublie pas de franchir assez tôt ce pré qui te sépare des murailles. Si l’Archiprêtre te voyait, tu serais un homme mort… Tu peux dormir sans crainte cette nuit. L’aube te réveillera. Cours, approche-toi de cette tour portière… Nous t’attendrons le temps qu’il faudra dans ce boqueteau où nous sommes…
    Tiercelet se courba pour sortir du fourré. La nuit l’engloutit. Au-dedans de l’enceinte, une citole égrena ses perles sonores. Tristan bâilla et attendit, immobile, que le sommeil le prît.
    *
    Il avait en courant traversé l’étroit champ jonché d’orties qui séparait son refuge de l’enceinte du château. Une tour lui offrit, dans l’angle du ressaut avec le mur d’enceinte, un asile précieux. Il y reprit son souffle, longea une brève courtine et atteignit un autre cylindre de pierre – le dernier avant l’une des tours portières. Il s’adossa à la muraille dans l’ombre, cette fois, de l’échauguette des latrines en veillant que rien n’en tombât.
    Il pouvait entendre, en provenance d’invisibles bâtiments dont une baie devait être ouverte, des murmures de voix, souvent occultées par le chant des violes et citoles ponctué par un tambourin. Des rires, en s’y instillant, complétèrent cette musique aimable, moelleuse, et qui eût pu, le soir, endormir des enfants. Mais le jour n’en était qu’à son premier quartier. Et si l’on jouait quelque aubade, c’était que l’on s’était tôt levé afin de dîner dès que possible et permettre ainsi aux invités de partir bien avant la remontée 132 . Nul